Un récent dossier Sud Ouest est revenu sur une cérémonie solennelle organisée à Cestas pour commémorer l’anniversaire d’un important f...

Le grand incendie d'août 1949 : un « cataclysme atmosphérique »


Un récent dossier Sud Ouest est revenu sur une cérémonie solennelle organisée à Cestas pour commémorer l’anniversaire d’un important feu de forêt en 1949. Le Bordeaux Invisible se devait alors d’enquêter sur cet événement tragique qui coûta la vie à 82 personnes.

L'histoire commence vers midi le vendredi 19 août 1949 à la scierie Pioton, au lieu-dit le Murat, à mi-chemin entre Saucats et Marcheprime, à 30 kilomètres au sud-est de Bordeaux. Un gardien allongé sur son lit s’endormit en fumant une cigarette (certaines sources évoquent plutôt une poêle laissée sans surveillance). La cabane prit feu et les flammes s’étendirent rapidement au reste de la scierie. La colonne de fumée fut rapidement repérée depuis les hautes tours d'observation à proximité de Biganos, de Béliet et de Cabanac.

Piste menant vers le lieu-dit le Murat, lieu de départ de l'incendie. Aujourd'hui, il s'agit d'un tronçon du chemin de Grande Randonnée GR655.
Les premières personnes sur les lieux n’avaient que des branches d’arbres pour tenter d’éteindre l’incendie, et ne pouvaient rien faire pour empêcher les flammes de prendre de l’ampleur et gagner du terrain. Les arbres et les buissons environnants, particulièrement secs après un troisième été sec et caniculaire, s'embrasèrent rapidement.

Dans ces années d'après-guerre, les forêts de la région étaient mal entretenues, denses (la production de résine était un important gagne-pain) et peu accessibles, et les méthodes et ressources de lutte contre l'incendie étaient loin d'être efficaces. Il y eut des tentatives précipitées d’installation de contre-feux afin d'empêcher la propagation des incendies, mais les flammes ne faiblirent aucunement. Attisé par de forts vents du nord-est, l’incendie progressa rapidement vers Le Barp au sud-ouest. La ligne de front de l’incendie s’étendait alors sur cinq kilomètres et de nouvelles initiatives furent déployées pour le contenir. Puis, la nuit venue, les vents tournèrent, poussant le feu à avancer rapidement, cette fois-ci vers l’ouest, couvrant jusqu’à quatre kilomètres à l’heure et menaçant bientôt les villages de Salles et de Mios.  

À l'assaut des flammes armés de seaux et de branches. Source : reportage disponible sur le site INA.
Des maisons et des greniers partent en fumée. Source : Sud Ouest.
Puis, en milieu de matinée du lendemain, le samedi 20 août, on pensait que le feu de forêt avait finalement été maîtrisé lorsque, soudain, les vents changèrent une nouvelle fois de direction, continuèrent à se renforcer et renvoyèrent les flammes vers le nord-est. Les incendies reprirent une fois de plus, cette fois plus puissamment que jamais, y compris dans les zones où les flammes s'étaient éteintes auparavant. Au cours d'une incroyable période de 20 minutes, le feu engloutit 6 000 hectares de terre, tuant instantanément et violemment 82 personnes qui se battaient pour contenir le feu sur son flanc nord. Les victimes étaient principalement des bénévoles des villages environnants, des fonctionnaires employés par le département d’Eaux et Forêts et 23 militaires d’un régiment d’artillerie de Châtellerault, dans le centre de la France. Seulement sept personnes ont survécu à ce qui est devenu - et demeure toujours – l’incendie de forêt le plus meurtrier de France.

Flammes et fumée. Source : reportage disponible sur le site INA.
Tout au long de cet après-midi, l’immense nuage de fumée était visible depuis 100 kilomètres à la ronde et l’ensemble de Bordeaux et ses environs était plongé dans l’obscurité dès 17h (l’éclairage public fut allumé exceptionnellement tôt dans la journée). Vers 22h, les vents tombèrent enfin et seules deux zones dangereuses demeuraient près de Léognan et du quartier Pierroton de Cestas. Dans l’ensemble la situation était désormais maîtrisée et les dernières flammes furent éteintes le jeudi 25 août, après une journée de deuil national tenue la veille. Au total, 50 000 hectares de forêts de pin furent détruits, ainsi que 710 hectares de landes. Selon des rapports contemporains (qui déploraient 106 décès), des « centaines » de fermes furent détruites et des milliers de villageois furent chassés de leurs domiciles (des récits plus récents évoquent plutôt la destruction d’une soixantaine de maisons).

Le chef du gouvernement français, Henri Queuille, était présent lors des grandes funérailles organisées quelques jours plus tard. La messe fut dirigée par l'archevêque de Paris, Monseigneur Feltin, et aux côtés des villageois se trouvaient des pompiers du Kent, dans le sud-est de l'Angleterre, qui avaient été recrutés pour renforcer les efforts de sauvetage dans la région.

Lors des funérailles : officiels, proches et pompiers du Kent. Source : INA video.
Naturellement, pour ceux qui ont été directement et indirectement touchés par les incendies, la vie ne serait plus jamais comme avant. Dans les commentaires postés sous un récit des événements (sur le blog "Paysages" du géographe Christophe Ness), une personne se rappelle avoir 12 ans et avoir perdu son frère aîné dans la tragédie - ce dernier effectuait son service militaire au sein du régiment d'artillerie à Châtellerault lorsqu'il fut affecté à la lutte contre l'incendie. Un autre parle de son père, Jean-Max Salzmann, un chauffeur d’ambulance militaire que l’armée envoya dans la zone avec son véhicule pour secourir les habitants des villages encerclés par les flammes. Initialement craint mort, Salzmann parvint finalement à revenir à la maison, mais était le seul des 30 membres de son équipage à sortir vivant. Avec ses collègues il avait cependant permis de sauver des dizaines de vies.

Tous les villages que le feu de forêt de 1949 a presque détruits - Cestas, Saucats, Marcheprime et Mios - ont, au fil des ans, repris pied et ont pu prospérer. Les forêts ont repoussé, sans doute en tenant compte des recommandations d'organisation et de diversification des cultures faites par un Pierre Allemand dans des articles apparentés publiés par la Revue Forestière Française en 1950. (Voir les copies d'archives ici et ici.)
Retour sur les lieux où l'incendie n'est qu'un souvenir lointain. Des champs de maïs à gauche, des pins à droite, le tout au nom de la diversité.
Mais certains observateurs soulignent que ces événements tragiques ont presque été effacés de la conscience collective (ce qui est peut-être la raison pour laquelle le sujet a été si long à figurer sur Invisible Bordeaux…). Au cours des dernières années, la publication en 2009 d’une publication de référence, « L’incendie meurtrier – dans la forêt des Landes en août 1949 », a permis de remédier en partie à ce phénomène. Ce livre revient notamment sur l'incendie au fil des jours, sur les méthodes utilisées afin de faire face aux flammes, et réunit les données biographiques de chacune des 82 victimes.

 
Et, pour revenir au point de départ de cet article, deux mémoriaux ont été érigés le long de la route D1010, à mi-chemin entre Cestas et Le Barp, dans une zone connue sous le nom de Le Puch, non loin du Murat. Le plus formel, cérémonial et imposant des deux (photo ci-dessus) comprend un bas-relief évocateur qui représente les pompiers entourés de flammes. Il énumère également les noms des habitants qui périrent dans ce que le monument appelle un « cataclysme atmosphérique », en les regroupant en fonction des communes dont ils étaient originaires : Cestas, Léognan, Saucats, Villenave d’Ornon et Talence. Le deuxième mémorial, en pin, est nettement plus minimaliste et a été érigé vers la zone où la plupart des personnes ont perdu la vie. Il appelle les visiteurs à « respecter et protéger la forêt pour honorer la mémoire des 82 héroïques sauveteurs ». On ne peut qu'acquiescer.

En repartant de la zone : une tour de guet et un panneau rappelant les dangers du feu.
> Localiser sur la carte Invisible Bordeaux : Forest fire memorials, D1010, Cestas.
> Le géographe Christophe Neff est à l'origine de beaucoup d'informations partagées dans ce dossier grâce aux articles disponibles sur son blog "Paysages", ici et ici
> Un récit détaillé, comprenant d'autres photos et une carte explicative, est disponible sur un site personnel et est à retrouver ici. Ce même site liste également les noms des victimes sur la page disponible ici. On peut aussi y découvrir des photos d'autres mémoriaux situés à Canéjan et à Cestas.
> This article is also available in English.

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