Au commencement il y avait cette publicité datant de 1895 repérée par mon ami Adam du site Invisible Paris . Cette réclame mettait en av...

L'étrange histoire des moines bénédictins, du sable, des os de seiche et du dentifrice


Au commencement il y avait cette publicité datant de 1895 repérée par mon ami Adam du site Invisible Paris. Cette réclame mettait en avant les « Dentifrices des RR. PP. Bénédictins de l’Abbaye de Soulac (Gironde) », dont la distribution était assurée par un établissement bordelais, Seguin. Mais en creusant, il fut difficile d’identifier la frontière entre vérité et marketing version 19e siècle !  

Voici d’abord les faits : fondée en 1807, le cœur de métier de la société Seguin était initialement la production d’alcools puis dans un second temps, une gamme de produits vendus en pharmacie ou parfumerie. C’est à la fin du 19e siècle que Seguin se lança dans la production et la distribution de produits pour les soins buccaux, à savoir bains de bouche (pardon, « élixir »), poudres et pâtes, à savoir l’ancêtre de nos dentifrices.

Les anciens locaux de la maison Seguin, rue Ulysse-Gayon à Bordeaux.
Avec la prise de conscience de l’importance de l’hygiène corporelle, les produits Seguin connurent un important succès commercial jusqu’aux années 1930, période à laquelle Seguin se heurta à la concurrence d’autres acteurs internationaux. L’ingrédient de base utilisé par Seguin était la poudre d’os de seiche et les produits finis étaient disponibles en différents parfums : anis, cannelle, menthe entre autres. Le « packaging » était soigné, les produits étaient vendus dans de jolies bouteilles, en tube ou en petites boîtes métalliques.

La réussite commerciale de Seguin est principalement attribuée à son impressionnante machine marketing, et c’est là qu’il est difficile de distinguer le vrai du faux ! Dans les innombrables publicités parues dans des revues telles que L’Illustration, les textes et les images mettaient en avant les « inventeurs » de ce produit miracle : les moines bénédictins (ou révérends pères) de l’abbaye de Soulac à Soulac-sur-Mer, notamment les prieurs Dom Maguelonne et Pierre Boursaud. Quelle était l’exacte séquence des événements et qui étaient ces hommes ? 

Quelques-unes des publicités et produits de marketing, dont du papier buvard (en haut à droite).
Le prieur Dom Maguelonne aurait bien existé. En 1869, ce moine de l’ordre Olivétain de Saint Bénédicte fut nommé à Soulac pour conduire, avec d’autres moines, la restauration de la basilique Notre-Dame-de-la-Fin-des-Terres, totalement disparue sous les sables cent ans auparavant. Cette opération avait été ordonnée par l’archevêque de Bordeaux de l’époque, le Cardinal Donnet (qu'Invisible Bordeaux a déjà rencontré dans le cadre de dossiers sur l'église Sacré-Coeur et les cloches de la tour Pey-Berland). Celui-ci commanda également la construction d’une nouvelle abbaye à l’endroit où se trouvait autrefois un monastère datant du 12e siècle.

Les travaux s’avérèrent compliqués et coûteux, notamment la restauration de la partie supérieure et le toit de l’ancienne basilique. Avec la venue de bon nombre de curieux (désireux aussi de découvrir la station balnéaire en devenir) il était urgent de consolider les dunes. Mais où trouver les fonds nécessaires ?

Le monastère / abbaye des années 1860, qui est aujourd'hui un lieu de colonie de vacances.

Selon la légende, Dom Maguelonne aurait parcouru des documents d’archives laissés par les moines de générations précédentes ayant séjourné sur ce même site avant la montée des sables. C’est ainsi qu’il aurait découvert la formule magique de l’élixir formalisée par le prieur Boursaud en… 1373 ! Cette formule fut alors vendue à Seguin qui en fit son fer de lance.

Rue Ulysse-Gayon, le nom Seguin est encore visible, tout comme des références au dentifrice béni !
Est-ce réellement ce qui s’est produit ? Ou la vérité est-elle nettement moins poétique ? Une version plus pragmatique veut qu’en 1885 Seguin s’installa dans les murs de l’abbaye du 19e siècle de Soulac afin d’accéder plus facilement à la côte Atlantique et à ses os de seiche. Ils auraient alors eu l’idée d’attribuer aux moines l’invention de leur élixir afin d’ajouter une touche d’authenticité ! C’est ainsi que serait né le mythe qui allait être exploité pendant les quarante ans qui ont suivi, avec comme image de marque les visages de Dom Maguelonne et Pierre Boursaud.

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