Cette fête de six mois a été portée par la Ligue Maritime Française, une institution qui visait à développer et promouvoir l’armée du pays et l’industrie maritime marchande. La décision a été prise d’ouvrir l’exposition à d’autres pays, beaucoup d’entre eux ont accepté d’y prendre part. C’était également une excellente opportunité de commémorer le centenaire de la marine à vapeur. À partir de cette idée de départ, l’évènement s’est ouvert à d’autres secteurs d’activités ainsi que la tenue de cinquante conférences de commerce.
Lorsque je faisais mes recherches sur ce sujet, j’ai été surpris de constater à quel point il y avait peu d’informations disponibles. Les sources les plus complètes étaient le travail d’
Hervé Guichoux, qui avait alors 86 ans
[voir note en pied de page], auteur et membre de la Société Française d’Histoire Maritime. J’ai rencontré monsieur Guichoux qui m’a éclairé à l’aide d’une collection de photographies et d’objets qu’il a compilé dans une « visite virtuelle » de l’exposition, sorti sur CD-ROM en 2007.
« Pendant six mois, Bordeaux était la capitale absolue du monde maritime », commente-t-il. « L’évènement a drainé des centaines de milliers de visiteurs, dont des personnalités comme le prince de Suède et le roi d’Espagne. Beaucoup de visiteurs sont revenus une seconde fois car cela prenait beaucoup de temps de tout voir ! C’est comme si une ville toute entière était sortie de terre ! ».
Beaucoup de ces bâtiments ont été conçus d’après les plans d’
Albert Tournaire, qui fut plus tard architecte en chef de la ville de Paris. La façade principale du Grand Palais, la pièce maîtresse de l’évènement, mesurait 35 mètres de long et 20 de haut. Le bâtiment s’étirait sur toute la longueur de l’esplanade, créant ainsi une surface d’exposition de 150 mètres de long. Les exposants dans le hall principal étaient des constructeurs de bateaux français, anglais, allemands et d’autres pays. Il y avait également à l’étage des espaces d’exposition supplémentaires où les visiteurs pouvaient en apprendre plus sur la pêche, les sports aquatiques et les stations balnéaires.
Du côté de la Garonne, la structure était flanquée de deux tours hautes de 45 mètres. Des ascenseurs amenaient les visiteurs à leur somment et ces derniers profitaient d’une vie panoramique sur l’exposition, le fleuve et les toits de Bordeaux ! La nuit, les tours étaient illuminés et projetaient des faisceaux de lumière à travers la terre et l’eau.
|
Le plan officiel. |
|
Les Quais, ainsi que la passerelle pédestre en métal (voir ci-dessous). |
Sur les promenades de part et d’autre de l’esplanade, des pavillons promouvaient tout, du vin aux confiseries, de l’horticulture à l’industrie automobile naissante (parmi les exposants, on trouvait Peugeot, Renault et le fabricant bordelais Motobloc). Un pavillon « colonial » présentait des informations pédagogiques aux visiteurs sur les colonies françaises à ce moment-là. Une passerelle piétonne en métal bien pratique permettait de passer au-dessus de la route et des tramways afin de visiter les pavillons étrangers, notamment celui de la Belgique qui était une copie de la forteresse d’Anvers
Het Steen. Celui des États-Unis était une réplique d’une partie de la Maison-Blanche. La Russie et la Grèce étaient les deux autres pays présents.
D’autre part, les visiteurs pouvaient également profiter des délices du grand écran grâce au Royal Palace Cinématographe, l’ « Aéroplane », une attraction rotative (qui pouvait aller jusqu’à 50 km/h) et un programme riche de concerts.
|
L'Aéroplane en pleine action devant le Cinématographe, le kiosque à musique lors d'une représentation et, en bas à droite, une nouvelle journée très animée à l'exposition ! |
Aussi étonnant que cela puisse paraître aujourd’hui, l’une des « attractions » principales était le « village africain », une partie de l’exposition qui ressemblait à un « village typique ». Jusqu’à 90 hommes, femmes et enfants de différentes ethnies du nord de l’Afrique étaient présentés et observés par des centaines de visiteurs chaque jour.
|
Le village africain. |
|
Souvenirs : un poster, un ticket de loterie, une carte postale et la couverture du guide officiel. |
Enfin, comme c’est un évènement maritime à la base, de superbes bateaux ont été présents durant toutes les festivités. Des vaisseaux sont venus d’Argentine, du Japon, des Pays-Bas, de Russie, d’Espagne, de Suède, du Royaume-Uni et des États-Unis, pour ne citer qu’eux. Le statut de premier plan au niveau maritime de Bordeaux s’est confirmé durant l’exposition : le cuirassé Vérité, qui a entièrement été construit par les chantiers navals de Bordeaux, a été lancé. 100 000 personnes ont assisté à l’évènement. Le Vérité a eu une brillante carrière avant d’être désarmé en 1920.
|
L’exposition internationale de nuit et une vue de la Garonne (avec des destroyers russes en bas à droite). |
|
Le Vérité lors de son lancement. |
Pourquoi un tel évènement ne tient pas plus de place qu’une note de bas de page dans l’histoire de Bordeaux ? Est-ce à cause de la teinte colonialiste et de l’héritage problématique du village africain ? Hervé Guichoux pense plutôt que « cela a été oublié parce que Bordeaux a des difficultés avec son passé maritime et préfère se concentrer sur le monde du vin. Les quartiers du négoce du vin et la classe ouvrière qui travaillent dans les chantiers navals sont deux mondes différents. L’industrie navale était pourtant importante ici, produisant 205 vaisseaux de guerre au fil des ans. Tout cela a pris fin en 1989 et la construction navale, c’est du passé maintenant. Les générations actuelles et futures ne vont pas connaître cette partie de l’histoire de la ville. »
En ce qui concerne l’exposition elle-même, il n’en reste absolument rien aujourd’hui. « Tout a été démonté et détruit », explique monsieur Guichoux. « C’est sur une esplanade vide que Bordeaux a organisé son grand évènement suivant, la Fête des vendanges de 1909 qui célébrait le commerce du vin ».
Le CD-ROM détaillé qu’Hervé Guichoux a minutieusement créé pour commémorer le centenaire de l’exposition, permet vraiment de se rendre compte de l’atmosphère et de l’échelle de l’évènement. « Mon but était de concevoir un musée virtuel, en utilisant les photos d’archives tirés de livres et de collections personnelles ». Grâce à son travail, l’exposition de 1907 est très documentée et continue à vivre encore aujourd’hui.
> Mise à jour : Malheureusement, Hervé Guichoux est décédé en août 2015. Je garde un souvenir ému du temps passé avec lui à discuter de ce sujet. Son héritage virtuel se trouve ici : http://bordeauxmaritime.free.fr. Farewell, monsieur Guichoux !
0 commentaires: