Lors du récent festival Musical Écran organisé par l'association Bordeaux Rock (qui, par coïncidence, était déjà au c œ ur du dernier ...

Retour sur les trente ans de cavale du punk-braqueur repenti, Gilles Bertin


Lors du récent festival Musical Écran organisé par l'association Bordeaux Rock (qui, par coïncidence, était déjà au cœur du dernier article paru sur le blog), l'un des documentaires musicaux que j'ai pu voir était l'excellent "Punk - Il était une fois Gilles Bertin". Ce film d'une heure, réalisé par Eugénie Grandval, raconte l'histoire remarquable d'un acteur clé de la scène punk rock bordelaise des années 1980 impliqué par la suite à un braquage, avant de s'effacer complètement de la carte pendant 30 ans, puis qui a cherché à se racheter et à reconstruire de toutes pièces son identité. 


Gilles Bertin est né à Paris en 1961 avant de passer son adolescence à Bordeaux. Dès qu'il a pu quitter son foyer et ses parents fonctionnaires, il l'a fait. Il s'installe dans un squat et, en 1981, devient le chanteur et le bassiste originel du groupe punk Camera Silens. Le groupe, dont le centre de gravité est la place Saint-Projet et le quartier Saint-Pierre, s'impose rapidement sur la scène locale, remportant des tremplins très médiatisés, et développe rapidement une audience nationale. 



Camera Silens au début des années 1980, Gilles Bertin à droite.

Le succès relatif du groupe ne suffit cependant pas à financer la dépendance à l'héroïne de Bertin, qui se lance alors dans une vie parallèle de petits délits et de vols, en respectant les règles empiriques que lui et ses acolytes - pour la plupart des artistes, des toxicomanes et des activistes anarchiques - se sont fixées, à savoir qu'il s'agit généralement de voler d’institutions aisées et de veiller à ce que personne ne soit blessé au cours des opérations.


En 1986, cette existence plus sombre et illicite l'emporte sur la carrière musicale de Bertin, qui se sépare de Camera Silens. Puis, en 1988, il participe avec ses complices à leur coup le plus célèbre : une opération de grande envergure, qui aurait nécessité deux ans de préparation, avec des répliques faites main d'uniformes de police et une fausse voiture de police, un scénario bien ficelé et des interrogatoires fictifs. Ce casse leur a permis de dérober plus de 11 millions de francs en billets de banque (environ 3 millions d'euros en monnaie actuelle) dans l'entrepôt de la Brink's situé à Toulouse. 


Au cours des deux années suivantes, les différents membres du gang ont été arrêtés les uns après les autres. Mais Bertin a réussi à s'enfuir sur la Costa Brava, en Espagne, laissant derrière lui non seulement sa patrie, mais aussi sa compagne et son fils Loris, qui venait de naître. Pendant sa fuite (un mandat d'arrêt international avait été lancé), il a dépensé tout son argent et rencontré une certaine Cecilia, avec laquelle il s'est installé à Lisbonne où ils ont ouvert un petit magasin de disques indépendant très influent qui a fonctionné pendant dix ans. 



Camera Silens et leur morceau 'Réalité' sur la chaîne FR3 en 1985. Cliquez ici si la vidéo ne s'affiche pas.

Officiellement, Bertin n'existe plus et le fugitif se fait connaître sous différents noms, dont celui de Didier Ballet. L'affaire se corse lorsqu'en 1995, Bertin tombe malade et qu'il s'avère que ses années d'héroïne l'ont finalement rattrapé : il est séropositif et a contracté le sida. Aux portes de la mort, il est sauvé d'abord par l'hôpital d'une commune communiste où l'on ne pose aucune question sur son identité, puis par les progrès de la recherche et l'administration d'une trithérapie. 


Au début des années 2000, Bertin et sa compagne s’installent à Barcelone, où ils gèrent le bar appartenant aux parents de Cecilia. Le couple a un enfant ensemble, Tiago, dont la naissance en 2011 amène Bertin à décider que le moment était venu de s'ouvrir sur son passé et d'avancer désormais la conscience tranquille. En novembre 2016, il choisit donc de rentrer en France pour se livrer aux autorités. 


Comme le démontre le documentaire, Bertin n'était plus vraiment considéré comme un ennemi public et sa réapparition n'a pas été particulièrement bien accueillie, car elle a relancé une affaire non résolue (et donc plusieurs couches de paperasse et d'administration) qui n'était plus considérée comme d’actualité par les différentes parties concernées. Mais Bertin est néanmoins jugé et, trente ans après le braquage, il est condamné à cinq ans de prison avec sursis, échappant ainsi à un séjour en prison. 


En devenant un homme libre capable de vivre à nouveau au grand jour, Bertin a pu dès lors renouer avec son premier fils Loris (dont la mère était décédée), prendre le temps de collaborer avec le journaliste de Libération Jean-Emmanuel Escarnot à la rédaction de ses mémoires (Trente ans de cavale : Ma vie de punk, publié chez Robert Laffont en février 2019 - Escarnot est décédé avant sa sortie), et partager son temps entre Toulouse et Barcelone, où il a continué à travailler au bar aux côtés de Cecilia, et à élever Tiago. 


Lors d'une séance de questions / réponses dans une librairie autour de son livre en 2019.

Mais, étant donné que les autorités l'avaient déclaré mort en 1992, une autre des priorités de Bertin était d'obtenir ses papiers d'identité français. C'est devenu une longue bataille qui a finalement duré trois ans, dont certaines situations de cercles vicieux sont capturées dans le documentaire. Il a finalement reçu sa nouvelle carte d'identité le 2 août 2019 mais, quelques jours plus tard, sa santé se dégradant à nouveau, Bertin est tombé dans le coma. Il est décédé le 7 novembre 2019 à Barcelone, à l'âge de 58 ans. 


La projection du documentaire lors de cette édition 2022 de Musical Écran, la première fois qu'il était présenté dans le cadre d'un festival de cinéma en France, a été un événement chargé d'émotion. De nombreux amis et contemporains de Gilles Bertin étaient présents dans la salle, et Eugénie Grandval était elle-même présente pour expliquer comment le documentaire, qui devait initialement être l'histoire édifiante d'un Bertin réformé retrouvant son identité, s'est finalement transformé en une triste histoire retraçant le cauchemar administratif de ses dernières années.


La compagne de Bertin, Cecilia, était également présente (elle avait symboliquement apporté sa fidèle sacoche) et a souligné à quel point cette dernière épreuve administrative avait épuisé Bertin. Son fils aîné Loris, qui vit toujours à Bordeaux et qui est aujourd'hui un acteur important de la scène techno locale, a également évoqué la manière dont sa relation avec son père s'est progressivement développée au cours de ses dernières années. Enfin, l'avocat de Bertin était présent pour raconter d’autres coulisses de la renaissance de Gilles Bertin. 


Pour quelqu'un qui connaissait vaguement l'histoire de Gilles Bertin, après avoir lu les articles de presse parus lors de sa réapparition dans le domaine public et une nouvelle fois lors de son décès, c'était un privilège absolu d'avoir accès à cet aperçu plus complet de la vie et l’œuvre du punk et braqueur de banque repenti. 


Et, que dire, le documentaire d'Eugénie Grandval - dont la production a été initialement déclenchée par un article que la réalisatrice avait lu dans Libération - est aussi passionnant qu’incontournable. Il a déjà été diffusé sur France 3, a été projeté dans d'autres festivals à travers le monde, et il se trouve qu'il est disponible sur Youtube dans son intégralité. Je ne suis pas sûr de la légalité de ce téléchargement, mais faisons avec. Bloquez les 58 minutes qui suivent pour découvrir cette histoire incroyable : « Il était une fois Gilles Bertin »…



Cliquez ici si la vidéo ne s'affiche pas.

Pour aller plus loin : portrait et interview dans Libération, quelques archives musicales dans le musée virtuel de la SACEMle dossier (biographie et vidéos) proposé par Sud Ouest, et une découverte de Camera Silens du côté de Rue89Bordeaux.


Les photos tirées du documentaire qui figurent dans cet article ont pour origine le dossier de presse réalisé par France TV dans le cadre de la promotion du film.


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