À la fin des années 1970/1980, la scène rock bordelaise était réputée dans toute la France pour être particulièrement active et dynamique. L...

À la découverte de la scène rock bordelaise 1977-1987


À la fin des années 1970/1980, la scène rock bordelaise était réputée dans toute la France pour être particulièrement active et dynamique. La ville abritait alors de nombreuses salles de concert, faisait l'objet de reportages dans des émissions télévisées nationales, et tout cela a abouti à ce que le groupe phare local, Noir Désir, s'impose progressivement comme l'un des plus grands groupes de France.

 

Quelques années après cette époque faste, en 2005, l'association musicale Bordeaux Rock, par ailleurs toujours aussi active aujourd'hui, a réalisé un double CD regroupant les titres de différents groupes et chanteurs solos qui ont fait partie de cette scène. L'impressionnant coffret, illustré par le célèbre artiste bordelais Jofo, comprend des photos et des informations biographiques sur chacun des artistes présentés, ce qui en fait une excellente introduction à cette période. 
 

Dans le beau livret, chaque artiste a droit à sa page.

De nos jours, la compilation est même devenue assez prisée (à en croire la bible des discophiles, Discogs). Et, devinez quoi, mon ami Olivier, collègue bassiste de mon projet musical Slowrush, possédait non seulement un mais deux précieux exemplaires et m'en a généreusement offert un. Hourra !
 

Pour profiter pleinement de l'expérience Bordeaux Rock, j'ai décidé de m'installer confortablement et de procéder à une écoute approfondie et tout à fait sans a priori de la compilation. Cette ouverture d'esprit et une certaine indulgence étaient de rigueur : le livret avertissait notamment que la qualité du son variait en fonction de la nature et de l'état des diverses sources d'origine (bobines de studio, de vinyles, mais aussi parfois de cassettes), et que la personne chargée du mastering des morceaux avait fait de son mieux pour créer un ensemble cohérent. Prenant cela en compte, j'étais curieux d'entendre comment tout allait s'assembler.  
 

En regardant le séquencement par ordre alphabétique des pistes, aucun des artistes ne m'était familier, à l'exception de Noir Désir et, peut-être, des Stilettos, nom que j'ai bien dû croiser quelque part. Oui, cela allait être un véritable voyage musical à travers le temps vers l'inconnu. En insérant le CD n°1 dans mon lecteur, étais-je sur le point de faire de belles découvertes, parmi ces 41 artistes (plus trois autres en "bonus", dont les contributions sont antérieures à la période en question) ? J'ai appuyé sur lecture et ai commencé à rédiger en temps réel.
 

Un disque compact en place - les lecteurs d'un certain âge apprécieront.

Les premiers temps forts sont le "pub rock" sans fioritures d'Art-314, avec ses guitares et son harmonica, et la pop californienne mélodique et ensoleillée du bien nommé Beach Lovers, qui sonne encore frais. "X Ray", signé Bolton (euh, Bolton ? Comme la commune dans la banlieue de Manchester ?), mélange guitares avec quelques artifices électroniques, et ils sonnent comme le genre de groupe qui pourrait être appelé à faire la première partie d'un Indochine ou de The Cure (et c'est d'ailleurs ce qui est précisément arrivé à l'époque !).
 

Hmm, le groupe suivant porte le nom à mi-chemin entre amusant et très familier de Les Cons, sauf que l'allusion de départ serait au légendaire album "All Mod Cons" de The Jam, et on peut en effet facilement percevoir cette influence londonienne, avec un jeu énergique et des harmonies vocales pointues. Ensuite, les Flying Badgers semblent encore plus inspirés par la scène britannique (leur bassiste était même un authentique Anglais, originaire de Sheffield) - l'arrangement est parmi les plus créatifs de la compilation, et la mélodie est accrocheuse et mérite d'être chanté sous la douche.
 

"Julie Julie" de Gamine est témoin à mi-carrière d'un groupe qui connaîtra plus tard un grand succès commercial avec son album "Voilà les Anges". Ils sont suivis par Hangar 21 qui présente, enfin, une belle voix féminine. Après 13 titres, Catherine Politoff (car c'est bien d'elle qu'il s'agit) n'est que le deuxième nom de femme à figurer dans la liste des membres des différents groupes. Hangar 21 sonne quelque part entre Nena, Blondie et The Pretenders.


Philippe Jolly est une surprise et ne ressemble à rien d'autre sur la compilation, avec un arrangement travaillé comprenant cuivres, claviers, choristes... c'est le genre de prestation studio qui donne envie d'avoir pu en entendre plus encore dans un environnement live (chose désormais impossible car Jolly est décédé en 2010). On pourrait en dire autant des Lucky Monkeys, avec leur basse "slapping" très années 80 et leurs gros refrains, ou encore des guitares acoustiques de Le Mix, dont le titre 'Aux USA' présente des modulations de dynamique agréables... et quelques changements de tonalité très bien trouvés !                 
 

Le CD n°1 se termine par "Somebody To Love" de Nightshift, décrit dans le livret comme étant dans la lignée d'Elton John ou de Squeeze, comme le démontrent l'arrangement au piano, la mélodie sinueuse et les chœurs façon soul. 

 

Les pages centrales du livret. Non, je ne sais pas non plus qui sont ces joyeux messieurs et il n'y a pas de légende pour nous aiguiller. Photo prise sur la rive droite de la Garonne dans le centre de Bordeaux et attribuée à Alain de la Mata.

L'incontournable Noir Désir démarre le CD n°2 avec le morceau "Danse sur le feu Maria", tiré du premier album du quatuor, un morceau à la fois sombre, atmosphérique et légèrement stressant. Ce titre s'enchaîne étonnamment bien avec le morceau "I Got It Bad" des Owls, au piano et à la manière de Beautiful South, avec l'Anglais Terry Wood au chant. Le livret précise que le groupe était très prometteur et était sur le point d'être signé par la maison de disques Barclay, jusqu'à ce que l'accord tombe à l'eau et que ces hiboux se séparent. Pas chouette du tout...
 

Les artistes suivants, à savoir Poupée Cassée, Réverbère, Rotten Roll et Les Scurs, sonnent un peu comme on s'attend à ce que des groupes portant des noms pareils doivent sonner. Une fois de plus, il faut un artiste solo pour briser la séquence punk-rock, à savoir Patrick Scarzello et les 1'25'' de son titre "La Clope", pépère et old-school. 

  
Spina Bifada est décrit comme l'un des premiers groupes bordelais à avoir utilisé des sampleurs, ce qui leur procure un son plus hypnotique et expérimental que la plupart de leurs contemporains. Leur titre (qui s'intitule justement "Spina Bifada", coïncidence inouïe !) est l'un des morceaux de l'album qui a sans doute le mieux vieilli au fil des ans.  


Les Stilettos, dynamiques et post-punky, méritent une mention spéciale car ils comptaient dans leurs rangs le très influent José Ruiz, qui depuis longtemps fait bouger les choses sur les scènes, dans les médias et dans les coulisses de Bordeaux et de ses environs. Il est l'un des pères fondateurs et préside toujours l'association Bordeaux Rock, qui continue de concevoir et de produire toute une série d'événements, dont le festival annuel Bordeaux Rock, la série de concerts Plages Pop et le festival de documentaires rock Musical Ecran. Bravo, José !  


Juste au moment où vous vous sentez sur le point de faire une overdose de testostérone masculine et de guitares saturées, les inattendus Takenoko apparaissent, menée par une certaine Vanessa au chant lead, fournissant une agréable et aérienne couche mélodique posée sur le scintillement des synthés et une boîte à rythmes rudimentaire. Il y a aussi un solo de saxophone très eighties pour faire bonne mesure. En vérifiant les crédits, je remarque que le claviériste et co-auteur de la chanson est une connaissance du monde virtuel, un certain Bruno Aujard. J'ai bien sûr prévenu Bruno que cet article était en préparation et il était ravi de l'intérêt porté à son groupe, qui naviguait à contre-courant des confrères bordelais d'alors. De mon côté, je me suis engagé à parcourir en profondeur leur œuvre, disponible sur Soundcloud !


Le titre très rauque des Wet Furs, "Au lit les bébés", clôt les débats, avant l'inclusion insolite de trois titres bonus d'artistes des années 1960 et 1970, Tony March & Ses Blousons Noirs, Absinthe et Salty Dog. C'est une façon certes intéressante d'utiliser l'espace disponible sur le CD, mais c'est aussi une manière surprenante de terminer l'album. Ces chansons ont-elles été ajoutées parce que, comme l'explique le livret, les groupes Camera Silens, Les Exemples et Kid Pharaon ont refusé de faire partie de la compilation ?   
 

L'ordre de passage dans toute sa splendeur.

Bref, quel est le verdict global ? Eh bien, malgré les craintes de l'ingénieur de mastering, la collection coule de manière cohérente. À quelques exceptions près, il s'agit d'enregistrements auto-produits tête-dans-le-guidon de groupes cherchant à capturer sur bande leurs arrangements live, ce qui donne des enregistrements énergiques et homogènes, mais souvent assez basiques en matière d'instrumentation... et étant donné qu'une grande majorité des groupes affichait un effectif type chant / guitare / basse / batterie, plusieurs décennies plus tard bon nombre de ces ensembles semblent un peu... interchangeables. Les exceptions à cette règle (comme Philippe Jolly, Spina Bifada ou Takenoko) sont ainsi particulièrement bienvenues.
 

Il faut dire aussi que, euh, il n'y avait pas grand-chose à se mettre sous la dent en termes de paroles. C'est peut-être dû à la technologie d'enregistrement lo-fi utilisée par beaucoup ici, mais la plupart du temps, il est quasi-impossible de comprendre ce qui est dit, que ce soit en français ou en anglais, mais là encore, il y a eu quelques bonnes surprises par ci et par là (Noir Désir et Les Stagiaires me viennent à l'esprit). Ceci étant dit, à la décharge de beaucoup de ces groupes, lorsque la priorité était d'éblouir le public en produisant décibel sur décibel toutes les semaines au Jimmy, on ne cherchait pas forcément à peaufiner au maximum le contenu des paroles. :-)
 

Il est vrai que cette compilation se présente comme un album de rock... donc c'est bien du rock (plutôt à forts accents punk) qu'on nous sert quasiment du début à la fin. Il est néanmoins surprenant de ne pas déceler ce qui se passait ailleurs à la même époque. Au Royaume-Uni, la période est associée à la montée en puissance des artistes new wave et synth pop, qui ont cédé la place aux sons indie mélodiques de groupes tels que The Smiths et Lloyd Cole & The Commotions. Aux États-Unis, c'était l'ère des groupes post-punk, Talking Heads en tête, suivie par l'éclosion de la scène alternative "college radio" menée par R.E.M.. Mais il n'y a guère de signe de ces mouvements ici, si ce n'est dans les morceaux proposés par, entre autres, Flying Badgers, Le Mix ou Gamine.  



Enfin, en parcourant une dernière fois la liste des artistes, Les Stagiaires, Stalag, Les Standards, Steel Angel, Les Stilettos, Stillers, STO et Strychnine confirmeront sans doute que le meilleur point de départ pour un groupe bordelais est de choisir un nom commençant par les lettres S et T ! Il y avait manifestement une véritable tendance dans ce sens, que d'autres attribuent à l'influence affichée des... Stones et des Stooges !
 

Dans l'ensemble, l'écoute de cette compilation a constitué un voyage musical insolite dans le temps, à la recherche d'une scène rock qui n'existe peut-être plus, mais qui s'est certainement développée et a évolué vers la scène musicale que l'on peut encore percevoir aujourd'hui dans des lieux tels que Rock School Barbey ou le Krakatoa. Pour ma part, je ne manquerai pas d'explorer plus avant les carrières d'artistes tels que Spina Bifada, Philippe Jolly, Takenoko, Flying Badgers et The Owls, que ce soit en ligne ou dans le monde réel.
 

Donc, vive Bordeaux Rock et, bien que quelques années se soient écoulées depuis la sortie de ce coffret, félicitations à tous ceux qui ont participé à la production de cette compilation (projet qui a demandé un an de travail), qui constitue une capsule temporelle musicale importante et précieuse !

 

 

> Un grand merci à Olivier Rols pour m'avoir gentiment offert un exemplaire de cet artefact musical rare ! 

> Retrouvez l'actualité de Bordeaux Rock sur le site www.bordeauxrock.com

> This article is also available in English! 

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