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La Maison aux personnages : fenêtres sur l'art en plein milieu d'un carrefour

Invisible Bordeaux découvrit récemment l'une des installations artistiques les plus insolites de la ville (et, il s'avère, l'une des plus controversées) : une maison située sur un bout de terrain bordé de tous côtés par des rues passantes ainsi que par la ligne A du tramway. Bienvenue à la Maison aux personnages !

Inaugurée au mois d'octobre 2009, cette œuvre est la création des artistes russes Ilya et Emilia Kabakov. Elle consiste en une maison à étage comprenant différentes pièces dont chacune a été décorée et mise en scène comme si elle était habitée par un personnage imaginaire. Les visiteurs peuvent circuler autour de l'extérieur de la maison et regarder par les fenêtres (y compris celle qui donne sur la pièce au premier étage, accessible par le biais d'un escalier métallique) afin de découvrir les diverses natures mortes. Des panneaux contextuels aux textes poétiques permettent de mieux cerner les habitants virtuels de la maison. 

Ceci est la Maison aux personnages, bien qu'à première vue il n'y ait rien pour désigner le lieu comme une œuvre d'art.
Au fond à gauche : l'hôpital Pellegrin.
Tout comme le pantalon de jogging géant couvert dans un précédent article sur le blog, la Maison aux personnages fut commandé dans le cadre d'un programme d'installation d'œuvres d'art à différents endroits le long du réseau de tramway. La maison et le square qui l'entoure représentent vraisemblablement le plus ambitieux de ces projets. Le lieu fut un immense chantier pendant sept mois avant son inauguration en présence des artistes, du maire de Bordeaux Alain Juppé, du ministre de la Culture de l'époque Frédéric Mitterrand, et du président de ce qui était alors la Communauté Urbaine, Vincent Feltesse.

Ce qui nous amène au caractéristique le plus étonnant de l’œuvre : cette maison climatisée d'une superficie de 148 mètres carrés et son jardin furent construits de toute pièce pour la réalisation de cette installation artistique. C'est en partant des croquis réalisés par Ilya et Emilia Kabakov (dont certains sont visibles ici) et en s'inspirant de l'esprit des échoppes et des maisons de ville bordelaises que la maison fut conçue par les architectes Samira Aït-Mehdi et Sylvain Latizeau, puis livrée par l'entreprise DV Construction.

Étant donné les frais associés (entre 500 et 600 000 euros), le projet est loin d'avoir fait l'unanimité. Emmanuelle Ajon, conseillère municipale d'opposition de Bordeaux et vice présidente de la Gironde, déclara notamment dans un billet intitulé « Jusqu'où peut-on aller au nom de la culture ? » qu'il était « indécent de proposer aux personnes sans logement de pouvoir regarder de dehors à quoi peut ressembler la chance d’avoir un  toit [...] et indécent au prétexte de l'art de dépenser plus de 560 000 euros pour un logement qui ne sera jamais occupé mais juste exposé ».

En regardant par la fenêtre.
Un reportage publié par Direct Matin Bordeaux7 sonda les riverains qui déclaraient ne jamais voir personne visiter ce lieu qui « bouche la vue et dans laquelle on ne peut pas entrer, [...] alors que des SDF dorment à côté ». Enfin, la page dédiée sur le site Yelp comprend un commentaire posté par quelqu'un qui habite en face de « cette maison qui a beaucoup fait jaser dans le quartier. Il n' y a jamais personne, le soi-disant square est infernal vu que les voitures tournent sans arrêt autour. Difficile de venir s'y reposer ou méditer sur l’œuvre ! [...] Une œuvre peut-être intéressante, mais qui reste invisible ».

Le mot invisible fut comme un appel du pied et c'est ainsi que, prêt à relever ce défi, je parvins à me rendre aux abords de la maison afin de pouvoir témoigner de ce qu'on peut voir à travers les fenêtres. Je puis ainsi déclarer que les pièces qui me semblèrent les plus intéressantes sont celles intitulées En barque sous les voiles (avec son joli voilier en bois), La soif d’inventions (qui ressemble à l'atelier de travail d'un savant fou, rempli de guirlandes et divers projets en cours) ou encore Ne jamais rien jeter (et toute sa collection de collections, à savoir tout un tas d'objets classés et étiquetés, ainsi qu'une série de questions ouvertes écrites sur des étiquettes suspendues par des fils). Parmi les autres pièces, retenons le minimalisme surprenant de Paradis sous le plafond à l'étage, où il n'y avait guère plus qu'une échelle et un fauteuil. Le restant était constitué de pièces à vivre ou à dormir, et le simple fait de regarder par la fenêtre donnait le sentiment d'être un peu voyeur, quoiqu'un voyeur qui ne sait pas trop pourquoi il est là à regarder par ces fenêtres.

Quatre des pièces : "En barque sous les voiles", "La soif d'inventions", "Ne jamais rien jeter" et "Le paradis sous le plafond".
À part ça, j'en ai presque oublié d'évoquer les artistes, tous deux aux origines soviétiques mais aujourd'hui basés à New York. Qui sont-ils ? Ilya Kabakov est né en 1933 à Dnipro, la quatrième ville de ce que l'on connaît à présent comme l'Ukraine. Pendant de longues années, son activité principale fut celle d'illustrateur pour livres d'enfants. C'est à partir de 1980 qu'il commenca à faire carrière comme peintre et écrivain. En 1988 il se mit à travailler avec Emilia Lekach. Celle qui allait devenir son épouse est également née à Dnipro, en 1945. Elle étudia la musique et l'espagnol à Moscou avant de s'installer en Israël puis à New York, où elle devint conservatrice et marchande d'art.
Les Kabakov,
source photo : artnet.com

Le couple collabore depuis et jouit maintenant d'une renommée internationale ; parmi les récompenses qui leur ont été décernées, notons l'ordre du Chevalier des Arts et des Lettres en 1995, ou encore le prix Oskar Kokoschka en 2002. Leurs œuvres, qui « fusionnent les objets du quotidien avec des éléments conceptuels » (selon artnet.com) ont été présentés, entre autres, au Museum of Modern Art de New York, au musée Stedelijk à Amsterdam ou au musée de l'Ermitage à Saint-Pétersbourg. Cette installation bordelaise n'est qu'une parmi plusieurs réalisées dans le cadre de commandes publiques passées en Europe et ailleurs

Comment définir la Maison aux personnages de Bordeaux ? Parmi les adjectifs utilisés dans ce dossier, nous trouverons les mots invisible, controversé et indécent, mais aussi insolite, imaginaire, poétique et intéressant. Comme pour toute œuvre d'art, il peut y avoir autant de définitions que de personnes qui la découvrent. C'est peut-être ainsi à votre tour de vous y rendre afin d'en faire votre propre opinion !

> Localiser sur la carte Invisible Bordeaux map : La Maison aux personnages, place Amélie Raba Léon, Bordeaux.

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