Nous voici à Eysines, au domaine du Pinsan, connu principalement pour ses terrains et sa salle de sport, sa piscine et son parcours de s...

Vol AF 1919 de Bruxelles à Bordeaux : la catastrophe aérienne d'Eysines


Nous voici à Eysines, au domaine du Pinsan, connu principalement pour ses terrains et sa salle de sport, sa piscine et son parcours de santé. Au pied d'un arbre gisent quelques plaques et plantes fleuries en guise de mémorial rappelant un événement tragique survenu le 21 décembre 1987 : le crash du vol Air France 1919 de Bruxelles à Bordeaux, et la mort de ses 13 passagers et trois membres d'équipage.

L'appareil était un turbopropulseur Embraer 120 exploité par la compagnie domestique Air Littoral pour le compte d'Air France, dans le cadre d'un service régulier reliant Bordeaux à Bruxelles et Amsterdam. Ce lundi avant Noël, le temps était mauvais dans une grande partie de l'Europe. Après l'atterrissage à 10h37 (heure de Paris) du vol aller Bordeaux-Bruxelles, l'étape Bruxelles-Amsterdam-Bruxelles a été annulée en raison des mauvaises conditions aux Pays-Bas. À 13h30, lors du décollage à Bruxelles à destination de Bordeaux, quelques incertitudes subsistaient dans le cockpit de l'avion puisqu'en Gironde, l'épais brouillard du matin ne s'était pas levé comme prévu. Il était donc fort probable que le vol soit dévié vers Toulouse ou Biarritz.

Un EMB 120 Air France / Air Littoral. Photo de Werner Fischdick, source : www.crash-aerien.news
Cependant, le commandant de bord Rémy Robert et son copilote Guy Michoux (dont les rôles avaient été inversés, le copilote était « Pilot Flying » et le commandant « Pilot Monitoring ») souhaitaient retourner à leur base à Bordeaux pour éviter les complications évidentes d'un atterrissage lointain. Ils ont atteint la zone au nord de l'aéroport sans aucun problème. À ce stade, la visibilité est restée réduite et la hauteur de la base des nuages était particulièrement basse (100 pieds), de sorte que les pilotes ont demandé à entrer dans une zone d'attente vers le sud. Mais, alors que l'avion s'apprêtait à quitter la trajectoire de vol pour entrer dans le circuit d'attente, le contrôle aérien a signalé une amélioration des conditions météorologiques (la base des nuages ​​est passée à 160 pieds) et, à la surprise de la tour de contrôle, les pilotes ont immédiatement cherché à rejoindre le couloir d'atterrissage. 

À ce stade, l'avion se déplaçait plus vite et à une altitude plus élevée qu'il n'aurait dû l'être, et a tout simplement dépassé la trajectoire de descente vers l'aéroport, en virant à droite. Les pilotes considéraient toujours qu'ils pouvaient rectifier la trajectoire de l'avion, déployant volets et trains d'atterrissage, mais la descente de l'avion est devenue beaucoup trop prononcée et le contact radio avec la tour de contrôle a été perdu. Il était trop tard pour mettre les gaz et redresser l'avion et à 15h10, à quelque 5 100 mètres de la piste, l'avion a heurté de grands pins et s'est écrasé, prenant feu à la suite de l'impact, feu qui s'est propagé aux arbres tout autour. Toutes les personnes à bord ont perdu la vie presque instantanément.

Schémas à retrouver dans le rapport final sur l'accident. À gauche, la trajectoire d'approche depuis le nord-est, passant au-dessus de la Dordogne et de la Garonne en chemin vers l'aéroport de Bordeaux-Mérignac. À droite, le parcours du vol AF1919 qui s'apprêtait à attendre dans la zone au sud avant de rejoindre de façon approximative le couloir aérien principal. 
Les secours sont rapidement arrivés sur les lieux. Ils y ont découvert des hublots noircis par le feu tout au long du fuselage, dont les ailes avaient été arrachées. Les 16 corps - 11 hommes, 4 femmes (dont l'hôtesse de l'air Annie Suzineau) et une jeune fille - ont été récupérés par les secouristes, mais ils ont vite constaté que le bilan aurait pu être bien pire : l'avion s'était écrasé à 200 mètres d'un centre aéré où 30 jeunes enfants faisaient la sieste. Les enfants ont été rapidement évacués du secteur.

Photos prises sur les lieux de l'accident et figurant dans le rapport officiel du BEA. En haut à gauche : l'arrière de l'épave ; en haut à droite : le moteur droit ; en bas à gauche : l'avant de l'appareil ; en bas à droite : les restes du poste de pilotage.
Un rapport de 37 pages (incluant une retranscription des enregistrements vocaux des 30 dernières minutes avant l'accident) rédigé par le BEA (Bureau d'Enquêtes et d'Analyses pour la sécurité de l'aviation civile) a été publié environ 18 mois plus tard et a formalisé les causes de l'accident : une mauvaise gestion de la trajectoire de l'avion due notamment au manque de vigilance vis-à-vis de l'altitude, et à une mauvaise coordination entre les deux pilotes concernant des tâches importantes telles que la surveillance et la signalisation d'écarts ILS (Instrument Landing Systems) ou d'altitude. 

Mais peu de temps après l'accident, les médias locaux avaient déclenché une polémique. En effet, le quotidien régional Sud Ouest a même titré « Crash du Brasilia : alcoolémie confirmée », pointant du doigt les pilotes. Cette information étant d'abord difficilement vérifiable, Sud Ouest a par la suite publié discrètement un rectificatif. Et pourtant, dans le rapport du BEA, il est bien précisé que des prélevés ont démontré que le taux d'alcoolémie du commandant de bord était de 0,35 gramme par litre (aujourd'hui, la limite légale pour les pilotes en Europe est de 0,2 gramme par litre). Il n'y avait par contre rien à signaler du côté du copilote. 

La une du Sud Ouest du 19 septembre 1988.

Que les pilotes aient été ou non sous influence, à en juger par un message épinglé à l'arbre au domaine du Pinsan, au moins une des familles des victimes du crash a tranché. Il y est écrit que cette catastrophe aérienne était « due à l'incompétence des pilotes » et cite le jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Paris en 1992 de « faute inexcusable à l'origine de l'accident », avant de conclure par les phrases « Nous n'oublions pas. Nous ne pardonnons pas ».


Enfin, en menant l'enquête sur ce triste événement, Invisible Bordeaux a découvert un lien inattendu qui, forcément, n'a pas fait de bruit à l'époque que ce soit dans les médias ou dans le rapport BEA : l'un des passagers à bord de l'avion était un certain Philippe Deschamps, 22 ans, qui revenait dans « son » pays du sud-ouest de la France depuis sa nouvelle demeure à Bruxelles. Il devait y retrouver sa famille pour passer Noël à Anglet, dans le pays basque. 

Didier Deschamps sous les couleurs
des Girondins de Bordeaux (1990-91).
Source image : Getty Images/Alain Gadoffre.
Il s'avère que Philippe était le frère aîné du footballeur Didier Deschamps, alors espoir nantais de 19 ans, qui a construit par la suite une carrière illustre dans des clubs tels que Bordeaux, Marseille, la Juventus et Chelsea. En tant que capitaine de l'équipe de France il a remporté la Coupe du monde en 1998 et l'Euro en 2000, avant de devenir entraîneur à Monaco, Marseille, Juventus et aujourd'hui sélectionneur national. Didier était à Concarneau, en Bretagne, lorsqu'il a été prévenu du décès de son frère. Il séjournait alors chez les parents de sa petite amie Claude (qui est devenue plus tard son épouse) avant de se diriger vers le sud pour la réunion de famille. L'ampleur de ce terrible choc s'est encore aggravée trois jours plus tard lorsque, possible conséquence indirecte de l'accident d'Eysines, le père de Claude est mort d'une crise cardiaque… 

Didier Deschamps n'a que très rarement parlé publiquement de ce chapitre traumatisant de l'histoire de sa famille, mais lors d'une interview en 2015 avec Michel Denisot pour Canal +, il a déclaré : « On vit avec, on vit sans surtout. Cela fait partie des drames et des coups durs de la vie. On n'oublie pas, cela reste marqué à vie. La vie est injuste, c'est le destin, cruel par moments et, en l'occurrence, très cruel et très injuste. On vit différemment, cela nous durcit encore plus. Pour moi cela a été difficile, mais je sais que pour mes parents ça l'a été encore plus, encore aujourd'hui malgré les années qui sont passées. »

Vidéo : Didier Deschamps revient sur la perte de son frère aîné
[source chaîne Youtube BALAMED]
Retour au domaine du Pinsan où les avions continuent de survoler la zone et les joggeurs de passer devant l'arbre, ses fleurs et ses plaques. Mais pour tous ceux qui ont été touchés de près ou de loin par l'accident, les souvenirs resteront. Sur un forum en ligne, un officier de police des frontières basé à l'aéroport en 1987, et qui a été immédiatement envoyé sur les lieux de l'accident aux côtés des services d'urgence, a écrit qu'il n'oublierait jamais le message « vol retardé » sur le panneau d'affichage des arrivées, ou encore ces familles qui attendaient leurs proches dans le terminal de l'aéroport... le genre de situation que l'on espère tous ne jamais avoir à vivre

Un avion passe au-dessus du domaine du Pinsan, Eysines.
> Localiser sur la carte Invisible Bordeaux : memorial to victims of 1987 plane crash, Domaine du Pinsan, Eysines
> Le rapport complet du BEA est à retrouver ici : http://www.bea.aero/docspa/1987/f-gh871221/pdf/f-gh871221.pdf
> This article is also available in English. 

4 commentaires:

  1. Bonjour,

    Merci d'avoir partagé cet article. Des pensées pour les familles touchées par ce drame.

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  2. 🌎 La désinvolture de certains, passe par l'alcool, pour le malheur et la souffrance, à jamais, des victimes....😵🌎

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  3. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  4. J'avais 6 ans à cette époque. J'aurais dû prendre cet avion mais je ne sais plus pourquoi et au tout dernier moment, on nous a stoppés et demandés de patienter car finalement nous ne monterions pas dedans.Ceux qui n'avaient pas été stoppés, ont continué de marcher pour embarquer.Pendant qu'on attendait, j'ai regardé sur ma droite et j'ai vu sur le tarmac l'avion dans lequel je monterai : il était petit et jaune. Depuis, les avions jaunes que je vois voler, je les regarde longtemps, très longtemps...

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