Il est 22h18 (23h18 heure locale) le jeudi 24 septembre 1959. À l'aéroport de Bordeaux-Mérignac, un avion à hélice Douglas DC-7C (celui visible ci-dessus, immatriculé F-BIAP) se prépare au décollage pour la seconde étape du vol TAI 307, la liaison régulière opérée par la compagnie française des Transports Aériens Intercontinentaux (TAI) entre Paris et Abidjan, capitale de la Côte d'Ivoire, via Bordeaux et Bamako au Mali.
L’escale à Mérignac a duré deux heures et tout le monde à bord - les neuf membres de l’équipage et les 56 passagers - est serein alors que l’appareil prend place sur la piste 23, principale piste de décollage et d'atterrissage de l’aéroport. Il y a un vent modéré et une bruine légère, mais la visibilité est bonne. Le pilote en chef Maurice Verges et le copilote Jean Bouchot obtiennent le feu vert pour décoller de la part de la tour de contrôle. À 22h23, le DC-7 met les gaz et s'apprête à entamer son vol de huit heures à destination de Bamako.
Après avoir quitté le sol de façon nominale, l’appareil monte à une altitude de 30 mètres mais pas plus, et commence même à redescendre. À guère un kilomètre de l'extrémité de la piste, ou 2 950 mètres du point de mise du gaz, l'avion heurte des pins (22,5 mètres de haut) de la forêt des Landes de Boulac sur la commune de Saint-Jean-d'Illac. Suite à ces impacts, l’aile droite de l'avion est endommagée et l’appareil tombe au sol, le fuselage se fend en plusieurs morceaux et des débris s'étalent sur une distance de plusieurs centaines de mètres. Plusieurs explosions se produisent, provoquant un certain nombre d'incendies qui se propagent rapidement aux arbres, bien que le sol humide empêche l'incendie de s'étendre au-delà de la zone de l'accident.
Immédiatement après, l'obscurité et l'inaccessibilité totale de la région entravent les efforts de secours; la structure routière rudimentaire empêche les véhicules d'urgence de s'approcher à moins de 800 mètres du lieu de l'impact. Miraculeusement, douze passagers ont survécu après avoir été éjectés de l'avion. Ils sont transportés à l'hôpital à Bordeaux où l'un d'eux décède peu de temps après. L'accident du vol TAI 307 entraîne ainsi la mort de 54 personnes, y compris tous les membres de l'équipage.
Une photo du lieu de l'accident, avec une partie de l'épave visible au loin. Crédit photo International Magazine Service pour Paris-Match / Marie-Claire, source : Amazon. |
Alors, que s'est-il passé ? Dans le rapport d'enquête publié par le Bureau Enquêtes-Accidents de l’Inspection générale de l’aviation civile, sécurité et navigation aériennes (de nos jours simplement le BEA, Bureau d'Enquêtes et Analyses), trois facteurs-clés ont été identifiés. Tout d’abord, les feux de l’appareil, vieux d'à peine deux ans, n’étaient pas en service. Ceci n'est pas forcément un problème, mais à cela s'ajoute le manque également de repères lumineux au sol (lampadaires, habitations...) ce qui aurait permis aux pilotes de savoir à quel point ils étaient bas. Ce qui nous amène au troisième et dernier facteur le plus important : les pilotes ne prêtaient pas attention à l'altimètre et ignoraient donc pleinement à quelle altitude ils volaient.
Dans le cadre d'une reconstitution du vol (à Brétigny, en région parisienne) en appliquant les mêmes critères, le Bureau a démontré que « au cours du premier segment de montée, et en particulier pendant une phase critique très courte [de l'ordre de 10 secondes environ 40 secondes après la mise du gaz], un faible accroissement de vitesse se traduit par une réduction considérable du taux de montée, voire même une légère perte d'altitude. Compte tenu de la cadence accélérée à laquelle se déroulent les opérations dans le poste au cours de cette phase, ainsi que de la variation rapide des paramètres du vol, des indications imprécises (voire inexactes) de certains instruments et en l'absence de référence temps et de repères visuels extérieurs, un pilote peut faire suivre à son avion une trajectoire susceptible de le ramener à proximité du sol si, dans le même temps, une vitesse optima de montée n'est pas adoptée et une surveillance rigoureuse de l'altimètre exercée. ».
En se rendant sur la zone, on constate rapidement que les alentours sont désormais occupés par divers locaux commerciaux ou industriels, bien qu’au-delà on peut encore trouver une vaste étendue de terres agricoles, ainsi que des parcelles de forêts de pins, à l’instar de là où le vol TAI 307 s'est écrasé. Même maintenant, il est facile d’imaginer à quel point le lieu de l’accident devait être isolé et inaccessible en 1959, alors qu’il était si proche de ce qui était déjà, à l’époque, un aéroport important.
À l'extrémité sud du piste de décollage, en regardant vers la zone où l'avion s'est écrasé (à savoir la zone délimitée par un triangle jaune dans la vue aérienne plus haut sur la page). |
Un avion au décollage aujourd'hui. |
En regardant depuis l'ouest, un autre avion décolle au-dessus des pins que l'on aperçoit à gauche dans la première de ces trois photos récentes. |
Sans surprise, à moins d’avoir raté quelque chose, sur place je n'ai pas trouvé de panneau d’information ou de stèle rappelant les événements tragiques de septembre 1959. Par contre, un hommage important est situé du côté sud du cimetière de la Chartreuse en plein Bordeaux. C'est là que reposent le copilote Jean Bouchot (32 ans), le mécanicien Yves Gosse (32 ans), le mécanicien stagiaire Raymond Savina (38 ans), le steward André Paupy (28 ans) et l'hôtesse de l'air Chantal Perrault de Jotemps (35 ans), ainsi que 14 passagers aux noms de Barge, Bordelanne, Darlan, Delaunay, Duchamp, Duhart, Dussaut, Mensah, Morris (voir note en bas de page) et Tanon.
Soixante ans plus tard, le souvenir de cette catastrophe aérienne - la plus meurtrière jamais survenue dans la région - semble s'être évanoui dans les brumes de l'histoire. J'espère donc que cet article permettra de ne pas oublier cette nuit bouleversante en 1959 où un DC-7C de la compagnie Transports Aériens Intercontinentaux n'arriva pas à bon port.
> Localiser sur la carte Invisible Bordeaux : TAI Flight 307 crash site, Boulac district, Saint-Jean d’Illac & TAI Flight 307 grave and memorial, cimétière de la Chartreuse , Bordeaux.
> Consulter la page Wikipédia dédiée : https://en.wikipedia.org/wiki/TAI_Flight_307
> Les informations dans cet article sont principalement tirées du rapport d'enquête du BEA ainsi que du site aviation-safety.net.
> Photo du Douglas DC-7C immatriculé F-BIAP du site http://aerobernie.bplaced.net/TAI.html où vous trouverez beaucoup d'autres cartes postales éditées par d'anciennes compagnies aériennes. > Consulter la page Wikipédia dédiée : https://en.wikipedia.org/wiki/TAI_Flight_307
> Les informations dans cet article sont principalement tirées du rapport d'enquête du BEA ainsi que du site aviation-safety.net.
> Parmi les victimes de cet accident étaient huit associés de l'International African Migratory Locust Organization. Un article de la revue Nature qui revient sur les parcours de Jimmy Davey et Hilary Morris est à retrouver ici.
> N'hésitez pas à écouter mon podcast dédié à ce récit, qui comprend une interview de Chris Davey, fils de Jimmy Davey. C'est à retrouver ici.
> This article is also available in English.
Merci pour ce retour en arrière de ce crash. Pas de stèle pour ces 54 morts, c'est bien dommage.
RépondreSupprimerMerci Nicolas. Le dossier sera actualisé d'ici quelques jours avec des informations plus précises sue la zone du crash (notamment grâce à une photo aérienne d'époque). À suivre...
SupprimerBonjour Tim,
RépondreSupprimerAvez vous demandé au BEA les coordonnées exactes du crash ? Sur le rapport de l'époque on lit 1050m du seuil de piste et cote 48,70m. Ce n'est pas assez précis.
J'habite st jean d'illac, ce soir je fais une sensibilisation sur les crashs aériens dans le cadre de la préparation de la réserve communale de sécurité civile. Je suis très intéressé par vos recherches et ne manquerez pas d'en parler.
merci pour vos retours
Cordialement
Nicolas
Merci de prendre contact via e-mail (lien en haut de page sur affichage classique PC) et je vous transmettrai le document qui me permet de situer très précisément désormais le crash, et que j'intégrerai à l'article dès que le temps le permet :-)
SupprimerBonjour, je suis la petite nièce d'une des victimes (Louis Duchamps) je vous remercie infiniment pour cet article qui m'a permis de comprendre un peu mieux cette tragédie qui a bouleversé notre famille.
RépondreSupprimerBonjour, quelque part heureux d’avoir pu contribuer à votre compréhension de ce terrible accident, merci de votre commentaire.
Supprimerbonjour, je me souviens toujours de cet accident qui m'avait marquée profondément alors que je n'avais que 7 ans. Mes parents vivaient à l'époque au Bénin et mon père connaissait le père d'une victime de l'accident : l'épouse et la fille de ce dernier avaient été épargnées mais non son fils installé de l'autre côté de la travée centrale.
RépondreSupprimerBonjour et merci de ce témoignage, quelle épreuve pour cette famille endeuillée par l'accident.
SupprimerJacques Lafon, mari de ma marraine, pompier pro à la caserne de Mériadec, parlait toujours de cet accident qui l'avait le plus marqué de sa carrière. Moi j'étais impressionné par la barre et le trou qui permettait d'accéder au camion en quelques secondes. On m'a dit que cette barre existe toujours...
RépondreSupprimerBonjour Alain, en effet, l'accident a dû marquer à jamais les pompiers envoyés sur place. J'habitais à une époque près de la caserne d'Ornano, et j'ai le vague souvenir d'avoir vu cette barre - cela remonte aux années 1993-5. J'essaierai d'y passer un de ces jours pour voir si cela y est toujours, en espérant que les grandes portes de devant soient ouvertes !
SupprimerBonjour, J'avais un peu plus de 5 ans, quand mon pére m'a ammené sur les lieux, "voir" (hélas), ce crash aérien. J'en garde ce fort souvenir morbide, outre des débris divers répandus un peu partout et qui métaient inconnus, de la vision de deux fauteuils passagers accrochés à la cime d'un pin...Du haut de mes quelques années, je ne comprenais pas la situation sinon de l'étrangeté de la chose, mais qui m'a fortement impacté dans mon souvenir. Maintenant quand j'y pense, je me dit que deux personnes qui y étaient assises ont sans doute fini leur vie dans ce bois. J'adorais mon pére, mais était-ce un "spectacle" à faire voir à son enfant ? Pensée aux disparus.
RépondreSupprimerMerci Philippe d'avoir partagé ce curieux souvenir d'enfance. À l'époque l'aviation civile était encore "jeune" donc la vision qu'avait votre père devait être très différente de celle qu'aurait un père de famille aujourd'hui et, en effet, avec le recul, cela surprend. On comprend en tout cas que ce triste spectacle vous a inévitablement marqué à jamais.
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