Il est facile de passer à côté sans les apercevoir, mais deux plaques sont apposées sur le mur à l'angle de la rue des Bahutiers et de la rue du Cancéra, dans le centre de Bordeaux. Elles rendent hommage à la vie et à la mort de Flore Célestine Thérèse Henriette Tristán y Moscoso, écrivaine franco-péruvienne et militante socialiste du XIXe siècle, plus connue sous le nom de Flora Tristan.
Flora Tristan est née à Paris en 1803. Bien qu'elle ait souvent spéculé sur la grandeur de ses ancêtres, elle était en réalité le fruit d'une liaison entre Mariano Eusebio Antonio Tristán y Moscoso, colonel dans la marine espagnole et membre de l'une des familles les plus puissantes du sud du Pérou, et Anne-Pierre Laisnay, une bourgeoise parisienne. Le couple s'était rencontré à Bilbao, en Espagne.
Cette cellule familiale informelle (les parents ne se sont jamais mariés) semble avoir perduré jusqu'à la mort de son père en 1807, après quoi la mère et l'enfant n'ont plus été en mesure de maintenir leur style de vie haut de gamme, en grande partie parce que leur maison avait été saisie par l'État français (le Pérou faisant partie de l'empire espagnol, il était considéré comme une nation ennemie à l'époque).
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Source : Wikipedia / Les Belles Femmes de Paris et de la Province |
Flora Tristan a trouvé son premier moyen d'échapper à cette pauvreté relative à l'âge de 17 ans, lorsqu'elle a épousé un graveur fortuné, André Chazal (elle était déjà enceinte de leur premier enfant, ils en auront trois au total). Cependant, leur relation s'est rapidement détériorée, Chazal se révélant être un mari jaloux et violent. Elle s'est enfuie en 1825 et a obtenu un règlement patrimonial en 1828, mais n'a jamais réussi à obtenir le divorce, ce qui a motivé son engagement dans la lutte pour les droits des femmes.
Après avoir passé quelque temps en Angleterre, Flora Tristan quitta Bordeaux pour le Pérou en 1833 afin de revendiquer l'héritage paternel contrôlé par son oncle. Considérée comme illégitime par sa famille, elle échoua dans cette entreprise, mais obtint une allocation pendant plusieurs années, ce qui lui permit d'acquérir une certaine indépendance financière. Ne se sentant pas à sa place socialement à Lima, elle finit par retourner à Paris, où elle rédigea un journal de voyage sur son séjour au Pérou intitulé Pérégrinations d'une paria.
Son statut d'auteure publiée lui permit de commencer à évoluer dans les cercles littéraires et socialistes parisiens, et elle continua à enrichir son expérience acquise au Pérou, où elle estimait que les femmes étaient plus libres et plus influentes qu'ailleurs. Elle poursuivit en produisant des ouvrages fondateurs sur l'égalité des femmes, le féminisme et les droits des travailleurs, devenant l'une des figures de proue du mouvement socialiste utopique des années 1840. Parmi ses ouvrages notables sur le thème de la justice sociale, citons Les promenades dans Londres (1840) et L'union ouvrière (1843).
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| L'hommage en céramique à retrouver sur la rue des Bahutiers. |
Cependant, après 13 étapes, elle était à la fois épuisée physiquement et malade. Elle retourna à Bordeaux pour se faire soigner, mais mourut subitement de la fièvre typhoïde chez le journaliste Charles Lemonnier et son épouse Elisa. Elle fut inhumée le lendemain, non loin de là, au cimetière de la Chartreuse.
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| La maison de la dernière halte de Flora Tristan. |
Les deux plaques situées rue des Bahutiers marquent donc l'endroit où « s'arrêtèrent pour toujours les pérégrinations de Flora Tristan », comme l'indique l'inscription sur les carreaux de céramique légèrement abîmés de l'ancienne installation, dévoilée en 1992 et arborant également les armoiries de Lima, capitale du Pérou et ville jumelée avec Bordeaux. La deuxième plaque, en métal, fournit des informations biographiques concises sur celle qui se décrivait comme « une aristocrate déchue, une femme socialiste et une ouvrière féministe ». Elle a été ajoutée en 2021 pour marquer le 200e anniversaire de l'indépendance du Pérou.
Une grande colonne, surmontée de deux livres en pierre (dont l'un porte le titre de son ouvrage L'union ouvrière), a été installée sur la tombe de Tristan au cimetière de la Chartreuse cinq ans après sa mort. Financée par les travailleurs, elle est signée collectivement « Les travailleurs reconnaissants » et porte l'inscription « liberté, égalité, fraternité ». Une cérémonie y est organisée chaque 14 novembre pour marquer l'anniversaire de sa mort, à laquelle assistent traditionnellement des associations de défense des droits des femmes, des représentants syndicaux, des dignitaires locaux et des historiens.
Enfin, l'héritage de Flora Tristan s'est étendu au-delà de ses pensées et de ses écrits. Sa fille, Aline Chazal, a épousé Clovis Gauguin, et le couple a eu un fils, Paul Gauguin. Celui-ci est bien sûr devenu un célèbre peintre et sculpteur postimpressionniste et symboliste.







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