Aucun besoin de voyager dans le temps à la recherche des mystères de Bordeaux car de nombreuses énigmes parfois absurdes nous entourent enc...

Les absurdités du quotidien à Bordeaux

Aucun besoin de voyager dans le temps à la recherche des mystères de Bordeaux car de nombreuses énigmes parfois absurdes nous entourent encore et toujours dans la ville moderne. En voici un florilège.

 

Le mystère des lignes de tramway à la station Quinconces


Même pour les voyageurs les plus aguerris, le hub de transports en commun des Quinconces peut s’avérer être un animal difficile à dompter. Quatre quais sont alignés en parallèle avec des indications visuelles des plus minimalistes identifiant chaque ligne ou la direction de chaque tram. Pour ajouter une dimension supplémentaire au défi, les quais orientés sud sont desservis non seulement par la ligne C mais aussi par la ligne D. Tentez de repérer les passagers qui sautent depuis un tram ligne B direction Pessac et qui doivent traverser les rails afin de rejoindre un tram C ou D en direction de la gare Saint-Jean. Cela ne se termine pas toujours bien mais est en tout cas très divertissant lorsqu’on est simple spectateur. Pour être complet, un phénomène similaire peut être observé à plus petite échelle à la station Porte de Bourgogne. 

Le mystère des toilettes publiques


Bordeaux a beau être une destination très prisée, lorsque les touristes de passage (tout comme les locaux, d’ailleurs) ont besoin de gérer un petit besoin pressant, il y a étonnamment peu d'options. Certes, il y a bien sûr quelques « sanisettes » éparpillées dans le centre-ville, mais l’attente entre chaque passage peut être longue et pénible, et une fois à l’intérieur le cadre est tout sauf plaisant… et ce n’est pas la musique d’accompagnement très kitsch qui permettra de rendre l’expérience plus agréable. Pour vous messieurs, quelques urinoirs « vespasiennes » subsistent ici et là (rue Robert-Lateulade et rue Paul-Broca par exemple, photo ci-dessus), et des toilettes rustiques se trouvent dans le jardin de l'Hôtel de Ville et le Parc Bordelais, mais à part ça, la meilleure option est bien de se diriger vers un centre commercial ou un bar…

Le mystère des Bistro Régent


En tout, combien de Bistro Régent la métropole pourra-t-elle supporter ? Depuis sa création en 2010, le concept du Bistro Régent, avec son menu sans fioriture et sa « fameuse sauce Charmelcia » (si fameuse que j’ai dû chercher le nom sur Google), s'est rapidement développé à Bordeaux et dans les environs, et s’exporte désormais bien au-delà. Marc Vanhove, le fondateur de cette franchise, est désormais une célébrité à part entière et le logo de la chaîne s’affiche sur les maillots du FC Girondins de Bordeaux. Dans la métropole, nous sommes au stade où chaque bâtiment désaffecté se transforme en Bistro Régent, d’où cette statistique étonnante que je viens d’inventer : où que vous soyez dans l’agglomération, vous n'êtes jamais à plus de 10 minutes à pied d'un Bistro Régent. Rassurant ou effrayant, au choix.

 

Le mystère des sans issue du quartier Mériadeck

Le quartier de Mériadeck a souvent été couvert sur le blog. Son visage moderne a principalement pris forme au long des années 1970 et 1980, et reste généralement peu appréciée des Bordelais pour diverses raisons tout à fait compréhensibles. L'une des spécificités principales du quartier Mériadeck est l’omniprésence de passerelles et d’esplanades surélevées (le célèbre concept d’urbanisme sur dalle). Dans l’ensemble, il est relativement simple de regagner le niveau inférieur, mais par endroits cet exercice peut s’annoncer compliqué. Entre cages d’escalier qui ne sont pas indiquées, escalators hors service ou passages qui se terminent en impasse, le chemin des écoliers est parfois la seule issue possible.

 

Le mystère Saint-Christoly 

En balade dans le centre-ville un samedi après-midi et à la recherche de calme ? Dirigez-vous tout simplement vers le centre commercial Saint-Christoly. Ce complexe des années 80, situé à deux pas de la place Pey-Berland et de la rue Sainte-Catherine, semble être le grand oublié des amateurs de shopping bordelais. À une époque, la Fnac située au sous-sol drainait amateurs de musique et de littérature. Depuis le déménagement de la Fnac vers la rue Sainte-Catherine, le centre commercial peine à attirer des clients autres que ceux qui se dirigent vers le Monoprix qui l’a remplacé, ou le magasin de surgelés Picard. Même avant la crise sanitaire de 2020, de nombreux commerces de ce centre commercial peinaient à joindre les deux bouts. L’avenir s’annonce compliqué*.

*Mise à jour : il a été annoncé fin décembre 2020 dans un article Sud Ouest que le centre commercial avait changé de propriétaire et qu'il « fera l’objet d’une "lourde restructuration" et son concept sera "intégralement revisité". »

 

Le mystère du début de la piste cyclable du pont Saint-Jean 

Le pont Saint-Jean est le pont bordelais que l'on ne voit jamais sur Instagram. Cette structure très fonctionnelle des années 1960, si associée à l’âge d’or de l’automobile, propose pourtant un passage simple et sécurisé pour les piétons et les cyclistes. Mais le principal défi pour cyclistes et piétons est tout simplement de trouver comment accéder au pont, compte tenu de la densité du réseau routier tout autour. Spoiler : la piste commence depuis un tunnel vers l'arrière d'un parking situé en face du Château Descas, en sachant que le parking est depuis quelque temps la gare routière (provisoire ?) utilisée par les divers opérateurs de cars… ce qui rend l’accès encore moins évident. Pourtant, cela en vaut la peine si ce n’est que pour profiter de la vue sur la ville depuis le milieu du pont ! 

 

Le mystère des flux humains sur les quais 

Les quais longeant la Garonne sont l'un des symboles de la récente transformation de Bordeaux et sont devenus l'un des lieux incontournables pour une agréable balade… à pied, à vélo, à skate, à trottinette ou encore en rollers. Bref, il est assez incroyable qu’il n’y ait pas davantage de collisions entre les différentes populations ! Des marquages au sol ​​sont néanmoins apparus dernièrement pour canaliser au moins les flux de joggeurs et promeneurs aux abords du fleuve. Cependant, le point noir est plutôt le long de la chaussée, où cyclistes pressés et piétons cohabitent parfois difficilement. Là-aussi, on s’attendrait à plus d’incidents et pourtant, dans l’ensemble, tout se passe généralement bien et sans heurt. 

 

Le mystère des écrans de l’Utopia

L’Utopia est le cinéma d'art et essai très apprécié des Bordelais, dernière incarnation en date de ce qui était autrefois l'église Saint-Siméon sur la place Camille-Jullian. Certaines des plus petites salles ont été installées dans une annexe à l’arrière du bâtiment, et pour que tous les spectateurs puissent profiter d’une vue dégagée sur les films, les écrans ont été installés à une hauteur fort impressionnante. La position assise à la limite de la posture d’observation des étoiles peut surprendre au premier abord, et pourtant l’on s’y fait.

 

Le mystère des sorties de l’UGC 

Toujours au chapitre des cinémas, dirigeons-nous vers l’UGC Ciné-Cité, rue Georges-Bonnac, où on peut régulièrement observer le phénomène des spectateurs qui sortent du cinéma sans savoir où ils se trouvent. En effet, ce multiplexe, installé dans un bâtiment qui abritait autrefois un théâtre, comprend pas moins de 18 écrans dont certains au rez-de-chaussée, certains à l'étage et certains souterrains. Les sorties des différentes salles mènent à divers endroits autour du bâtiment et il faut inévitablement quelques instants pour s’orienter et situer la sortie par laquelle on a quitté le cinéma !

 

Le mystère des files d’attente de Mollat
 

Nous aurons du mal à identifier les quelques rares bienfaits de la crise sanitaire de 2020, mais parmi ceux-là retenons le marquage au sol qui a permis de formaliser le système de file d’attente aux caisses de la librairie Mollat. Auparavant, si la file s’étirait, un système prenait forme de manière organique. Mais avant d’arriver à ce stade, un dispositif hybride entre files et foule calqué sur un modèle de marché ambulant faisaient des malheureux au quotidien. Cette anarchie d'antan reviendra-t-elle à l’avenir ou ce système plus formel de file d'attente sera-t-il pérenne ? Voilà, chers lecteurs, un véritable mystère bordelais des temps modernes.


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Invisible Bordeaux est fier d'avoir fait une nouvelle apparition dans le dernier numéro de Bordeaux Moments , l'excellent magazine t...

Les balades insolites d'Invisible Bordeaux dans le nouveau numéro de 'Bordeaux Moments'

Invisible Bordeaux est fier d'avoir fait une nouvelle apparition dans le dernier numéro de Bordeaux Moments, l'excellent magazine trimestriel bilingue "de voyage et de style de vie" de Bordeaux Tourisme.

 

Dans l'article, je propose quelques suggestions de sorties insolites à Bordeaux et aux alentours à savourer, n'est-ce pas, une fois que l'on pourra à nouveau sortir de chez soi. Ces conseils emmènent le lecteur du Parc Floral à la Cité Frugès de Pessac, au fil de l'Eau Bourde, et à Lormont au musée national de la Caisse primaire d'assurance maladie !

 

En temps normal, le magazine - qui comprend de nombreux bons articles dont des suggestions intéressantes d'activités à faire avec les enfants, un guide des escapades hivernales sur le Bassin d'Arcachon, et quelques tuyaux pour découvrir des maisons dont les façades sont ornées de chats sculptés - est disponible dans les offices de tourisme, les espace accueils d'hôtels, ou encore en mairie.

> Ou vous pouvez tout simplement découvrir le magazine en cliquant ici ! Bonne lecture  !

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La place Ravezies est l'un des principaux points d'entrée de Bordeaux proprement dit et est une importante plaque tournante du résea...

À la découverte de la « Ligne verte »... depuis la place Ravezies au Bouscat via Bruges

La place Ravezies est l'un des principaux points d'entrée de Bordeaux proprement dit et est une importante plaque tournante du réseau de transports en commun ainsi que pour le trafic routier. Jusqu'en 2012, c'était aussi l'emplacement de la gare SNCF de Ravezies, qui était pendant de nombreuses années le terminus des liaisons ferroviaires depuis la presqu'île du Médoc. Sur les derniers kilomètres, les passagers ont dernièrement basculé sur une nouvelle branche de la ligne C du tramway (avec notamment la création de la liaison tram-train à Blanquefort), et en 2015 la gare de Ravezies a été démantelée définitivement, laissant un espace vide linéaire le long du couloir de l'ancienne voie ferrée. 


Les instances locales (Bordeaux Métropole avec les mairies de Bruges et du Bouscat) ont étudié le sujet de près et ont rapidement eu l'idée d'embellir le lieu en déployant un projet en lien avec le programme « 55  000 hectares pour la nature » de la Métropole visant à intégrer et à préserver la nature et la verdure dans les nouveaux développements urbains. Le projet « Ligne verte » est né ! 



Le projet avait pour objectif la reconversion de 3,1 kilomètres de l'ancienne ligne en lieu de promenade, reliant ainsi la place Ravezies aux quartiers résidentiels du Bouscat, avec la création de divers points d'intérêt en chemin. Et, bien que les travaux soient toujours en cours et que nous n'ayons pas encore le produit fini, la Ligne verte a bel et bien été ouverte au grand public cette année. Il était donc logique de s'y aventurer afin de découvrir la balade proposée. 


Mais le premier défi était tout simplement de parvenir jusqu'au point de départ. La zone située près de ce qui était autrefois la gare est un parking compact, à savoir un véritable Tetris d'automobiles à aborder tel un Indiana Jones des temps modernes, en sachant qu'aucun panneau de signalisation n'indique le chemin exact vers le début de la Ligne verte

 

L'entrée se situe... quelque part au fond, derrière ces rangées de voitures !

Des barrières en bois ont été placées à l’entrée de la Ligne verte, et divers poteaux, tampons et bouts de quais rappellent la vie antérieure du lieu. Avant de partir, j’en ai d'ailleurs profité pour tenter de reproduire une photo que j’avais prise en 2012 à l’époque de la fermeture définitive de la gare.



Ci-dessus : le panorama en 2012.
La même vue aujourd'hui.

Non loin de là on découvre un nouveau renvoi vers le passé ferroviaire du chemin avec le "petit train de Ravezies", une modeste aire de jeux en forme de locomotive pour que les enfants puissent s'imaginer en conducteur de train ! Les anciennes lignes restent d'ailleurs visibles, encastrées dans le nouveau revêtement de la Ligne verte, et un peu plus loin le chemin passe sous une série d'arcs métalliques, traces des anciennes caténaires SNCF (voir photo en haut de l'article).

En avançant on découvre une deuxième aire de jeux, comprenant cette fois des balançoires, une cabane et un toboggan. Mais le blogueur en moi s'enthousiasme davantage devant la vue non loin de là du bassin de stockage des eaux de pluie Béquigneaux, partie intégrante du réseau métropolitain de protection contre les inondations, conçu pour stocker le surplus d'eaux pluviales lorsque c'est nécessaire, comme détaillé dans un précédent article Invisible Bordeaux sur ce dispositif de « bassins de rétenue ». Ce bassin des Béquigneaux, créé en 1987, est tout simplement énorme, et peut stocker jusqu'à 102 800 mètres cubes d'eau.


Une partie du bassin des Béquigneaux.

Plus loin, l'environnement est composé de petites parcelles de culture privées, de jardins et, au-delà, de grandes tours résidentielles, avant d'arriver à une piste BMX durement mise à l'épreuve par une poignée d'ados lors de mon passage. Puis le chemin longe la jeune extension du tramway avant d'arriver à la gare et quartier au nom charmant de « La Vache ». Sur votre gauche : les terres d'un vieux domaine bourgeois bouscatais. Sur votre droite : l’un des cimetières municipaux de Bruges. Tout cela donne une certaine sensation de grands espaces, et les quelques murs qui brisent la vue des alentours ont manifestement connu des jours meilleurs, mais ils constituent au moins un bon terrain de jeu pour les street artists du coin !     


Dès lors, la voie ferrée désaffectée réapparaît et la Ligne verte la longe jusqu'à ce que, en arrivant dans un début de virage, elle termine de façon assez brusque, inattendue et, oui, prématurée. Il n'y a alors d'autre choix que de quitter le chemin et de se diriger tout naturellement dans le lotissement Gourribon, qui a déjà joué un rôle de premier plan sur le blog. En rebouclant vers l’ancienne voie ferrée, on découvre des signes prometteurs indiquant qu’un nouveau tronçon de la ligne verte semble être en devenir et reliera à terme ce quartier à l’avenue de la Libération au Bouscat. Le panneau d'informations visible sur place indique que cette « phase 5 » aurait dû être finalisée en 2020, mais je pense que nous sommes tous très indulgents par rapport à tout ce qui aurait dû être livré en 2020 !


L'actuelle fin peu spectaculaire de la Ligne verte.
Un nouveau tronçon en devenir ? 

Quel est donc l'avis d'utilisateur Invisible Bordeaux ? Cette Ligne verte est indéniablement une initiative intéressante et nul doute que les habitants du quartier Gourribon (entre autres) doivent être ravis d’avoir désormais un lien direct aussi agréable avec la place Ravezies et les portes de Bordeaux ! C’est certainement une promenade très plaisante, quoiqu'un peu courte pour une balade à vélo. Les trois kilomètres défilent et, si on retient que l'un des temps forts principaux est bien la vue d'un bassin de retenue, il va sans dire que le chemin ne figurera jamais aux palmarès des plus beaux itinéraires vélo du monde ! Mon conseil est donc de privilégier la marche à pied au vélo. Mais un grand bravo à tous les acteurs impliqués dans la création de cette promenade linéaire qui propose un itinéraire paisible à la frontière des communes de Bruges et du Bouscat, et dont la réalisation est une manière innovante de redonner vie à une autre ancienne voie ferrée. 


> Localiser sur la carte Invisible Bordeaux : ancienne gare Ravezies, place Ravezies, Bordeaux (= le point de départ).

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Invisible Bordeaux est l'un des acteurs locaux ayant contribué à un projet innovant centré sur le patrimoine du territoire mené cette an...

Bordeaux Métropole à la carte (à jouer)


Invisible Bordeaux est l'un des acteurs locaux ayant contribué à un projet innovant centré sur le patrimoine du territoire mené cette année par Bordeaux Métropole en collaboration avec Deux Degrés, la maison d'édition / agence de médiation déjà habituée du blog (et dont je suis un fan inconditionnel depuis de nombreuses années). Les livrables ont été récemment dévoilés : il s'agit de deux jeux de cartes collectors, l'un étant un jeu des sept familles et l'autre un jeu de cartes classique.

Le double objectif du projet, au nom de code de « Vous avez une carte à jouer », était de pouvoir identifier et valoriser différents lieux d'intérêt connus ou méconnus dans toute la métropole, ainsi que de fournir un support aux associations et acteurs évoluant autour du patrimoine pour se rencontrer et collaborer. L'initiative s'inscrivait dans la démarche plus large du réseau européen Atlas World Heritage qui se concentre sur la préservation et la mise en valeur du patrimoine urbain (les autres villes participantes sont Édimbourg, Florence, Porto et Saint-Jacques-de-Compostelle), et le défi était de boucler le tout à temps pour les événements de l'édition 2020 de la semaine des sites du patrimoine mondial de Bordeaux, à la mi-septembre.

Ci-dessus - Des panneaux explicatifs présentent la démarche Atlas World Heritage sur la place de la Bourse pendant la semaine des sites du patrimoine mondial 2020.

Au départ, le plan élaboré début 2020 par Bordeaux Métropole et Deux Degrés consistait à organiser des réunions et des ateliers collaboratifs mais - comme vous l'avez peut-être deviné - la période de confinement les a obligés à revoir complètement leurs plans. Le projet a entièrement basculé en mode en ligne, s'articulant principalement autour de cartes interactives afin que ceux qui souhaitaient participer puissent localiser les points d'intérêt et fournir l'argumentation derrière chaque proposition.

Un soixantaine de structures ont participé - associations, blogueurs... - et ont ainsi identifié 400 points d'intérêt, dont une présélection a été soumise à un vote lors duquel 110 participants ont choisi les sujets qu'ils jugeaient les plus significatifs. Ensuite, en combinant ces résultats avec d'autres choix raisonnés afin d'assurer une représentation équitable de chaque commune de Bordeaux Métropole, Deux Degrés s'est mis à travailler sur la production de ces deux jeux de cartes. 

Ci-dessus - Ma commune de résidence, Saint-Aubin-de-Médoc, figure dans les jeux. Cette séance photo a pu être entièrement réalisée à pied !

Le jeu des sept familles vise un jeune public et regroupe les points d'intérêt en sept catégories… ou plutôt sept familles : nature, industrie, eau, habitat, monuments, architecture contemporaine et châteaux. Chaque famille comprend six membres, et sur chacune des 42 cartes figure une illustration signée par la très talentueuse Julianne Huon - dont le style est devenu synonyme de l'identité graphique de Deux Degrés au fil des ans - et un bref descriptif du lieu. Fait intéressant, si les cartes sont retournées, elles peuvent également être positionnées tel un puzzle pour former une grande illustration rappelant les paysages de Bordeaux Métropole.



Le jeu de 52 cartes (ou plutôt 54 avec les deux jokers) sert de guide très éclectique à la fois de sites incontournables et de lieux insolites de la métropole, et comprend également un dépliant permettant aux joueurs de lire des informations pour aller plus loin dans la découverte. Les illustrations sont l'œuvre d'un artiste tout aussi doué, Jean Mallard. Ce jeune illustrateur est basé à Paris avec de la famille dans la région, mais n'était pas nécessairement familier avec la plupart de ces sites. Il a pu profiter d'une courte fenêtre de liberté post-confinement afin de passer deux jours à explorer la métropole et à s'approprier les sites présélectionnés pour le projet. Les illustrations qui en résultent capturent cette sensation de découverte. Jean Mallard a employé diverses techniques, en privilégiant néanmoins l'aquarelle. Il s'est également volontairement limité à une palette de couleurs relativement limitée afin d'obtenir une cohérence entre les cartes. Et pour donner un peu de vie aux images, il a toujours cherché à intégrer une présence humaine.

Lors d'un événement organisé en septembre à la Maison Cantonale du quartier de la Bastide (qui figure lui-même dans le jeu de cartes) pour présenter le projet finalisé au réseau de contributeurs, Julianne Huon et Jean Mallard ont pu raconter les coulisses de ce projet aux côtés de Pierre-Marie Villette de Deux Degrés et d'Anne-Laure Moniot de Bordeaux Métropole. Jean Mallard a même apporté les œuvres d'origine, c'est-à-dire la cinquantaine d'illustrations de taille de carte postale qui démontrent à quel point chaque création individuelle est complexe et détaillée.


Ci-dessus - Jean Mallard présente les illustrations d'origine. À droite, son interprétation du stade Chaban-Delmas, qui retrouve sa dénomination précédente de Parc Lescure dans le jeu de cartes.

Les deux jeux ont été initialement produits en séries limitées de seulement 500 unités chacun et ont été distribués tout au long de la semaine des sites du patrimoine mondial depuis une mini-exposition "pop-up" située place de la Bourse. Au-delà, ils seront fournis aux médiathèques de toute la Métropole. Une version destinée à la vente pourrait suivre… c'est pour l'instant incertain mais je vote pour !


Ci-dessus - La mini-exposition place de la Bourse.

En attendant, ici à Invisible Bordeaux, je suis très fier d'avoir pu contribuer au projet, et ravi d'avoir vu que certaines de mes soumissions (comme les jardins jumelés de la ville de Bordeaux, le Parc du Ruisseau au Haillan, ou la locomotive à retrouver à l'ancienne gare de Saint-Médard-en-Jalles) figurent dans les magnifiques jeux.
 


Tout cela montre qu'il y a une vraie sensibilisation en cours autour du petit patrimoine, et il est formidable de voir que Bordeaux Métropole prend cela très au sérieux et cherche à fédérer les acteurs du patrimoine local sur des projets du genre. Félicitations à toutes les personnes impliquées dans ce beau projet !


> Site internet Deux Degrés : www.deuxdegres.net

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La plus grande nouveauté de la scène culturelle bordelaise en cette année quelque peu irréelle a sans doute été la récente renaissance de l...

Direction la Base sous-marine à la découverte des Bassins de Lumières

La plus grande nouveauté de la scène culturelle bordelaise en cette année quelque peu irréelle a sans doute été la récente renaissance de l'espace d'exposition de la Base sous-marine de la ville. Bienvenue donc aux Bassins de Lumières, lieu entièrement dédié à l'art numérique, et notamment aux technologies de « mapping » vidéo par projection. Depuis début 2020 ce lieu fait parler de lui dans les médias de toute l'Europe et au-delà, et génère un grand nombre de publications Instagram postées par des influenceurs comme par des anonymes. Bref, je n'avais d'autre choix que de partir à la découverte de cette nouvelle initiative, qui plus est se trouve dans les murs de cette fameuse Base sous-marine, sujet du billet le plus lu sur le blog Invisible Bordeaux !
 

Au total, quatre des onze anciens bassins de la base sont consacrés à l'espace d'exposition des Bassins de Lumières, conçu et géré par le réseau national de musées et d'attractions Culturespaces. Les travaux de reconversion du lieu ont duré plus de deux ans, et si l'ouverture officielle des Bassins de Lumières a été retardée par la crise sanitaire, elle a finalement accueilli le grand public pour la première fois en juin 2020.

Quatre animations sont présentées en ouverture jusqu'à début janvier 2021. L'attraction phare très attendue présente le travail du légendaire peintre symboliste autrichien Gustav Klimt (1862-1918), dans le cadre d'une longue séquence audiovisuelle conçue par les artistes du numérique immersif Gianfranco Iannuzzi, Renato Gatto et Massimiliano Siccardi, en collaboration avec le musicien Luca Longobardi. La deuxième séquence principale est une compilation animée des œuvres du peintre germano-suisse Paul Klee (1879-1940) mis en musique. Deux autres animations multimédia modernes sont présentées dans un espace appelé Le Cube : « Ocean Data » des studios Ouchhh et « Anitya » du collectif Organ’Phantom.


L'expérience visiteur consiste à se déplacer dans la quasi-obscurité de bassin en bassin, et d'apprécier les différentes séquences de mapping vidéo (diffusées en boucle) depuis différents points de vue. Les animations sont reflétées dans les bassins et s'étendent parfois au sol. Les images diffusées par des centaines de projecteurs occupent chaque centimètre carré et les spectateurs sont ainsi entourés par des œuvres d'art à 360°, le tout accompagné en permanence d'une puissante bande musicale. Et bien qu'il y ait un flux constant de visiteurs, il n'y a jamais le sentiment que d'autres personnes gênent ou empiètent sur le spectacle visuel - ces silhouettes mobiles d'inconnus ajouteraient presque à l'ambiance mystique du lieu.


Dans deux espaces fermés, le Cube mentionné plus haut, mais aussi la très cylindrique « La Citerne », les visiteurs découvrent un cadre inhabituel où ils peuvent s'allonger de manière plus ou moins élégante sur de grands coussins posés par terre. Enfin, un ensemble de panneaux d'informations propose un rappel historique du lourd passif de la base sous-marine.

Bien installés au sein du Cube.

La zone historique.

Quel est donc le verdict ? Chose peu étonnante, Invisible Bordeaux a été réellement impressionné par la technologie ainsi que par tout le côté esthétique de cette première exposition de très haut vol, une vraie réussite même si l'obscurité et le défilé constant d'images en font un spectacle assez impersonnel. La qualité du son laisse à désirer dans certaines zones de l'espace, en sachant que l'acoustique du lieu ne facilite certainement pas ce genre de chose. Quant aux différentes séquences de ce programme inaugural, les animations Klimt et Klee séduiront forcément les connaisseurs bien qu'un fil conducteur soit difficile à repérer, alors qu'un passage dans le Cube donne parfois l'impression d'être enfermé dans un énorme économiseur d'écran Windows 98.
     

Quoi qu'il en soit, suivant les traces de la Cité du Vin et de la salle de spectacles Arkéa Arena, toutes deux inaugurées ces dernières années, ce nouveau-venu dans le paysage bordelais est un symbole fort de la volonté de la ville de s'assurer d'une place durable et incontestée dans la cour des grands des hauts lieux culturels européens. Cette mission semble être en bonne voie à en juger par la proportion importante de visiteurs internationaux présents lors de la chaude journée estivale où j'y étais (malgré le faible nombre de touristes étrangers à Bordeaux cette année).


Et si le meilleur restait encore à venir pour les Bassins de Lumières ? Ce lieu pourrait en effet servir de canevas à des innovations sans limite. Il reste à imaginer un spectacle qui soit non seulement un chef d’œuvre technique et qui surprenne, mais qui soit aussi accessible et pertinent pour toutes les générations, ainsi que toutes les populations. En cochant toutes ces cases, nous serons face à quelque chose de tout à fait sublime... et j'y retournerai avec grand plaisir ! 


> Localiser sur la carte Invisible Bordeaux : Bassins de Lumières, Base Sous-marine, impasse Brown de Colstoun, Bordeaux
> Informations complètes à retrouver sur le site officiel : www.bassins-lumieres.com
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Comme vous l'avez peut-être remarqué si vous suivez de près le blog, le rendement d'Invisible Bordeaux a quelque peu baissé ces ...

[Pause musicale] Présentation du groupe Slowrush et de son 'Parallel World E.P.'


Comme vous l'avez peut-être remarqué si vous suivez de près le blog, le rendement d'Invisible Bordeaux a quelque peu baissé ces derniers temps. Mais il y a une très bonne raison pour ce silence radio relatif. En effet, pendant la récente période de confinement, je me suis surtout focalisé sur un projet musical passionnant qui a abouti à la création d'un groupe et la publication d'un E.P.. Je vous présente donc Slowrush !

Slowrush est composé de mon ami, l'excellent Olivier Rols à la basse, mon fils Dorian Pike à la batterie, et je fais de mon mieux pour suivre à la guitare et au chant. Olivier et Dorian ont régulièrement contribué au spectacle Le Shuman Show par le passé, donc la création de ce trio était une évolution naturelle. Avec l'avènement inattendu du confinement lié à la crise sanitaire, nous nous sommes lancés le défi d'enregistrer quatre morceaux (à distance pour les lignes basse d'Olivier !). Et, quelques semaines plus tard, ces chansons sont désormais dans le domaine public et disponibles sur toutes les plateformes de streaming. 

Quel est l'univers musical de Slowrush ? Pour ma part, j'ai toujours été fortement influencé par des artistes de pop mélodique tels que Joe Jackson, XTC et Blur. Dorian apporte son énergie de millennial et des idées inspirées par des groupes tels que Everything Everything, Foals et Tame Impala. Olivier, quant à lui, est une véritable éponge musicale et a des goûts éclectiques allant du rock et du jazz au punk ! Tout cela fait un beau mélange musical bien qu'il y ait inévitablement un accent pop assez "British" qui prime.

La pochette de l'E.P.. À vous de reconnaître le bâtiment du quartier Mériadeck qui y figure !
Mais il y a aussi un fort accent bordelais ! Alors que deux des morceaux (Parallel World et Mr Morality) étaient des chansons existantes dépoussiérées pour l'occasion, les deux autres (Bordeaux Watergate et Four Walls) ont été écrites en pleine période de confinement et sont inspirées par des sujets liés au blog. Bordeaux Watergate rappelle le scandale "Winegate" des années 1970 déclenché par la découverte de milliers de bouteilles de Bordeaux qui contenaient en fait du vin du Languedoc. Et Four Walls est une manière de saluer en musique ces lieux synonymes d'événements passés et qui sont aujourd'hui une rue ordinaire, un local vide ou un quartier transformé (comme par exemple Mériadeck, dont les bâtiments figurent sur la pochette de l'E.P. !).

Mais passons à la musique ! Vous pouvez écouter ces quatre chansons sur la plateforme de streaming de votre choix (Spotify, Deezer, Apple Music, etc.) via la page que vous trouverez en cliquant ici : https://linktr.ee/slowrush

Vous pouvez également suivre l'actualité de Slowrush sur Instagram (@slowrushband), Twitter (@slowrushband), ou Facebook (@slowrushbdx). On espère pouvoir annoncer des représentations sous peu !

Et, pour le même prix, vous pouvez tout simplement découvrir les quatre morceaux via les lecteurs ci-dessous. Bonne écoute ! (Si les lecteurs ne s'affichent pas, cliquez ici).





Et à bientôt pour de nouveaux reportages plus "classiques", promis ! À suivre !

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Cachée dans les bois non loin des rives de la rivière Leyre, dans le hameau de Lamothe, juste à l'est du Teich, se trouve la ...

La fontaine Saint-Jean : la miraculeuse source tarie du côté du Teich


Cachée dans les bois non loin des rives de la rivière Leyre, dans le hameau de Lamothe, juste à l'est du Teich, se trouve la petite et quelque peu mystérieuse Fontaine Saint-Jean, abritant une source qui est maintenant asséchée mais qui était autrefois réputée pour ses propriétés miraculeuses.

Ce petit édifice, qui a été restauré ces dernières années, date du 17e siècle et bien que je n'ai pas pu les repérer, les dates 1645 et 1650 sont apparemment gravées dans la structure, dans la niche concave qui jusqu'en 1772 contenait une statue de Saint Jean, saint patron de Lamothe (la statue fut la victime malheureuse d'un différend entre les habitants du Teich et de Mios).

Bien que peu d'informations sur la fontaine soient facilement disponibles, certaines des descriptions plus détaillées à retrouver en ligne (voir les liens au bas de cet article) mettent en exergue le passé mystique et religieux du lieu. Ceci peut être principalement attribué à son emplacement sur l'un des plus anciens des nombreux chemins de pèlerinage de Compostelle à travers la région ; le lieu a donc servi de halte naturelle pour les marcheurs en route vers ou depuis Saint-Jacques-de-Compostelle au fil des siècles. Mais certains érudits ont même prétendu que l'histoire remontait beaucoup plus loin et que la source était saluée pour ses vertus spirituelles avant même l'ère de la conquête romaine de la Gaule !

L'environnement est pour le moins paisible. 
Quoi qu'il en soit, il existe diverses légendes sur les propriétés curatives de l'eau de la fontaine, notamment pour les affections cutanées, bien que tout au long du 20e siècle, cette croyance s'est estompée lorsque la source s'est tarie (probablement en raison des travaux importants effectués à proximité pour construire des lignes de chemin de fer). Pourtant, même en ces temps modernes, il serait encore possible de voir des chiffons déposés sur la fontaine, un rite traditionnel landais synonyme d'espoir d'un miracle. Un fidèle lecteur du blog, Harvey Morgan, précise qu' «  on trempe le chiffon dans l'eau puis on le frotte sur la partie affectée, répétant généralement une prière ou un rituel quelconque, puis on le suspend près de la fontaine pour qu'il sèche. La maladie disparaît lorsque le chiffon est sec. Il y a encore aujourd'hui plusieurs fontaines dans les Landes où cette pratique continue. »

Une bougie déposée lors d'une récente visite ?
Le jour de ma visite aux côtés de mon compagnon de voyage occasionnel, mon beau-père Michel, il n'y avait aucun chiffon, bien que la zone soit si humide que nous aurions volontiers déposé le nombre de chiffons qu'il aurait fallu pour nous débarrasser de l'assaut constant de moustiques affamés ! Il y avait des signes de visites récentes : une bougie avait été déposée avec une statuette de la Vierge. Des bancs sont positionnés en forme de demi-cercle face à la fontaine, rappel que le lieu sert d'arrêt aux pèlerins, bien qu'il aurait fallu une âme courageuse résistante aux insectes pour s'y arrêter trop longtemps ! L'ambiance est très paisible, le silence seulement troublé par deux cavalières qui avaient sans doute le meilleur moyen de transport pour pouvoir faire face aux marécages tout autour.

Chevaux, vélos et une fontaine miraculeuse. Un beau tiercé.
À la fin de notre visite je semblais finalement être sorti indemne des innombrables attaques de moustiques ; doit-on y voir les effets des qualités miraculeuses du lieu ? Mais surtout, j'étais simplement content d'avoir vu cet endroit insolite, notamment parce que c'était loin d'être ma première tentative pour le trouver ! En effet, la fontaine n'est pas facile à localiser ou à atteindre. L'astuce est de viser le parking du Kayak Club du Teich, juste à côté de la départementale D804, puis de continuer vers le sud en longeant la Leyre (ou l’Eyre). Vous passez ensuite sous un pont de chemin de fer, avant de traverser une petite passerelle en bois au-dessus du ruisseau (ou craste) Beneyre. En prenant immédiatement à droite, en suivant ce ruisseau, le sentier forestier vous mènera à la fontaine Saint-Jean.

Enfin, à voir non loin de là : parallèle à ce chemin, un peu au nord, se trouve la bien nommée allée de la Fontaine Saint-Jean, avec une curieuse rangée de maisons à pans de bois qui semblent tourner le dos à la rue, préférant regarder en direction de la voie ferrée. Il est possible que l'attrait indéniable de ces jolies maisons souffre lors de chaque passage d'un TGV à quelques mètres de leurs fenêtres !
Les maisons de l'allée de la Fontaine Saint-Jean tournent le dos à la route.
> Localiser sur la carte Invisible Bordeaux : fontaine Saint-Jean, Le Teich.
> Des articles nettement plus complets sur la fontaine sont à découvrir ici : Marinelle Balades Photos, Info Bassin, Société Historique et Archéologique d'Arcachon et du pays de Buch.  

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C'est à un de mes amis Adam, qui anime le site partenaire Invisible Paris , que je dois la découverte de cette couverture de Paris M...

« Winegate » : le scandale qui secoua le monde du vin bordelais en 1973


C'est à un de mes amis Adam, qui anime le site partenaire Invisible Paris, que je dois la découverte de cette couverture de Paris Match. Nous sommes en 1973 et, entre des dossiers sans doute explosifs sur Jacques-Yves Cousteau et le « phénomène blue-jean » s'inscrit l'annonce énigmatique d'un « scandale à Bordeaux ». De quel scandale pouvait-il s'agir ? La réponse : « Winegate » ! 

L'histoire commença au 124 quai des Chartrons qui, à l'époque, était le siège de la maison Cruse, la prestigieuse société de commerce et d'exportation de vins. Le jeudi 28 juin 1973, des inspecteurs de la brigade de surveillance des services fiscaux de l'État s'y rendirent, peut-être suite aux tuyaux d'un informateur, avec l'intention de procéder à un audit complet et à un inventaire des stocks.

Les inspecteurs furent expulsés de force des locaux par le directeur, Lionel Cruse, qui affirma que le moment n'était pas opportun. Il fit valoir que l'entreprise était en retard sur un certain nombre de commandes et, avec la période des vacances à venir, ils avaient encore beaucoup de rattrapage à faire. En lisant entre les lignes, les inspecteurs comprirent plutôt que l'établissement avait manifestement quelque chose à cacher. Ils s'éclipsèrent et, dans leur rapport, firent état d' « opposition à fonction ». Ce n'allait être qu'un au revoir...

C'est désormais plus calme au 124 quai des Chartrons.
Plus ou moins simultanément, des collègues d'une autre branche du fisc, la Brigade Spéciale des Contributions Indirectes, découvrirent un cas de fraude grave : un négociant en vins de Saint-Germain-de-Graves, au sud-est de Bordeaux, avait acheté du vin en vrac de la région Languedoc, ainsi que de grandes quantités de Bordeaux bon marché. Le tout était alors stocké dans ses caves, la documentation associée falsifiée, et le produit fini revendu sous des étiquettes d'appellation contrôlée dont Saint-Émilion, Pomerol et Médoc, à des sociétés de distribution et d'exportation... dont Cruse.

Des informations commencèrent à circuler sur le négociant au cœur de l'affaire, un certain Pierre Bert, qui avait un passif d'affaires douteuses et échecs commerciaux. Ce dernier projet en date visait donc à capitaliser sur le marché toujours florissant des vins de Bordeaux par le biais de la distribution de quelque 3 millions de bouteilles mal étiquetées (à cette époque, environ 60 millions de bouteilles de vins de Bordeaux étaient destinées à l'export tous les ans). Mais agissait-il seul dans cette tromperie ? Ou ses homologues des compagnies de distribution étaient-ils complices dans la démarche ?

Lionel Cruse, le
"Nixon bordelais". Source :
larvf.com
La réponse fut rapide : Lionel Cruse était catégorique sur son innocence, comparant publiquement son sort à celui de Richard Nixon et qualifiant le scandale de « Winegate ». La chute de Nixon n'allait pas tarder… quel serait la destinée de Cruse ?

La tourmente n'allait que s'amplifier avec les trouvailles de divers journalistes d'investigation mettant au jour différentes méthodes illicites employées pour améliorer les vins de stock, comme l'édulcoration excessive, divers mélanges non divulgués et l'utilisation de colorants artificiels. Bert, qui avait alors déjà reconnu la falsification des vins qu'il vendait, a répondu aux allégations en affirmant que « 90 % des commerçants et 50 % des producteurs se comportent de manière frauduleuse », ajoutant qu'il n'y avait aucun moyen qu'il puisse s'agir d'un cas isolé : « Deux cent mille ou trois cent mille hectolitres de vin du Languedoc arrivent à Bordeaux chaque année. Ils passent bien quelque part ! »

Le scandale éclata réellement fin août 1973 avec des articles dont une double page dans le Nouvel Observateur, suivi du Canard Enchainé qui titrait sur cette « fraude généralisée à Bordeaux ». Le Canard Enchainé ajouta une dimension politique au scandale : toute cette affaire était une excellente nouvelle pour le ministre des Finances de l'époque, Valéry Giscard d'Estaing, dont le principal rival politique de droite pour l'élection présidentielle de 1976 n'était autre que Jacques Chaban-Delmas, maire de Bordeaux et un ami de longue date et allié du monde du vin du quartier des Chartrons. Le mot de la fin du Canard Enchainé annonçait « un autre point pour Giscard ! Pauvre Jacques ! » L'hebdomadaire satirique a vu juste : à la mort, en avril 1974, du président Georges Pompidou, l'élection présidentielle fut avancée au mois de mai de la même année et Chaban-Delmas fut facilement écarté au premier tour du scrutin, Giscard passant alors devant François Mitterrand pour devenir président.

Dossier du Nouvel Observateur, 27 août 1973 (disponible en ligne ici et ici).
Le procès de l'affaire dite désormais Winegate commença en octobre 1974 et fut largement couvert à l'international, notamment au Royaume-Uni, au Canada, aux États-Unis et au Japon. Au banc des accusés, pas moins de 18 individus, dont trois membres de la famille Cruse et le tristement célèbre Pierre Bert, tous inculpés d'utilisation illégale de produits chimiques pour améliorer les produits et d'étiquetage erroné des vins. Le procès se poursuivit pendant près de deux mois, aboutissant à un verdict de 240 pages et huit condamnations.

Pierre Bert, qui reconnut de nouveau devant le tribunal avoir altéré les vins, fut condamné à la peine la plus sévère - un an de prison. Il n'exprima aucun regret, affirmant même que ses mélanges étaient très similaires au goût de Bordeaux : « Pendant tout le temps de la fraude, je n'ai jamais reçu de plainte d'un client sur la qualité ! ». Lionel Cruse et son collègue directeur, son cousin Yvan, furent condamnés à un an de prison avec sursis, à une amende et à trois ans de probation. Mais leur seul aveu fut de ne pas avoir goûté assez soigneusement le vin fourni par Bert.

Bien que l'affaire soit désormais close, l'impact ne faisait que commencer. Les prix chutèrent du jour au lendemain et les exportations ralentirent. La demande des États-Unis pour des vins de Bordeaux descendit à un niveau précédemment enregistré en 1969 et n'allait se redresser qu'à partir de 1982. De nombreux châteaux, qui n'avaient pourtant joué aucun rôle dans le scandale mais en subirent les conséquences, cessèrent en masse de traiter avec les négociants, revenant pour la plupart à des méthodes de vente directe.

Les effets les plus notables du scandale furent sans doute la mise en œuvre d'une réglementation plus stricte et l'importance supplémentaire accordée à l'expression « mis en bouteille au château », synonyme d'implication minimale d'intermédiaires. (Car, à l'origine de ce scandale était la pratique alors très répandue de la vente de vin de petits vignobles aux distributeurs qui assuraient également le vieillissement et la mise en bouteille.) Cependant, de nombreux négociants furent recrutés par les châteaux afin de faciliter la transition vers l'internalisation de la vinification et la mise en bouteille.

La maison Cruse se releva au fil des années et est aujourd'hui propriétaire du Château Laujac et du Château d’Issan. Le célèbre Château Pontet-Canet fut cependant vendu à la suite du scandale, qui reste sans aucun doute encore un chapitre gênant dans le passé de l'établissement. Il semble même avoir été effacé de l'histoire quand cela est possible. Par exemple, je fus surpris de ne voir aucune mention du scandale dans l'article nécrologique suite au décès de Lionel Cruse publié en avril 2013 dans Sud Ouest. Il n'y a plus ou peu de traces de ce que devint Pierre Bert. Les récits les plus complets du scandale que j'ai trouvés se trouvaient, bizarrement, dans les archives de journaux américains. Enfin, c'était la première fois que certaines de mes recherches recevaient le message « En réponse à une demande légale adressée à Google, nous avons retiré xx résultat (s) de cette page ».

Mais je pense que l'histoire méritait d'être racontée, même si je ne pense pas qu'Invisible Bordeaux recevra cette année une carte de vœux de la maison Cruse… Je me consolerai en buvant un verre de vin du Languedoc !

Localiser sur  la carte Invisible Bordeaux : former Cruse headquarters, 124 quai des Chartrons, Bordeaux.
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